«On commence à douter de la parole de notre client» : le jour où une deuxième «affaire Lelandais» a éclaté

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Eloïse Bertil , modifié à
Le 18 décembre 2017, Nordahl Lelandais, qui est déjà alors le principal suspect dans l’affaire “Maëlys”, est extrait de prison pour être placé en garde à vue. Il est désormais accusé du meurtre d’Arthur Noyer, un caporal qui n’a pas donné de nouvelles depuis plus de huit mois, aperçu pour la dernière fois après être sorti d’une boîte de nuit à Chambéry. A ce moment-là, Alain Jakubowicz, avocat de Nordahl Lelandais dans le dossier Maëlys, voit ses chances de faire acquitter son client réduites à néant. Dans le podcast “Le Coupable”, l’avocat de la défense raconte ce moment clé. 
PODCAST

"Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?", s’écrie le 18 décembre 2017 Alain Jakubowicz, l’avocat de Nordahl Lelandais depuis qu’a éclaté l’affaire de la disparition de la petite Maëlys, lorsqu’on lui apprend que son client est placé en garde à vue dans une seconde enquête, pour une autre affaire. Dans le podcast "Le Coupable", Me Jakubowicz et sa collaboratrice Marine Régnier racontent ce moment de bascule : "A ce moment-là, on se dit ‘merde’. On se demande si on recevra un jour d’autres appels de ce type (…) On commence à douter de notre client."

Marine Regnier, qui suit au quotidien depuis plusieurs mois l’évolution de l’enquête sur la disparition de Maëlys, part ce jour-là voir Nordahl Lelandais sans tarder. En tant qu’avocats de la défense, Me Jakubowicz et sa collaboratrice Marine Régnier doivent savoir à quoi s’attendre… "Aux clients, on ne demande jamais frontalement s’ils ont commis ou non le crime dont ils sont accusés. Au lieu de ça, je demande ‘ce que l’on peut craindre des investigations’. On ne va pas se mentir, c’est une manière détournée de poser la question…", confie–t-elle encore au micro de la journaliste Noémie Schulz dans le podcast "Le Coupable", produit par Spotify et Europe 1 Studio. "Je me souviens que Nordahl Lelandais n’était pas enclin à s’ouvrir sur quoi que ce soit. Donc on se contente de lui expliquer ses droits, de lui dire qu’on sera à ses côtés, et de lui rappeler qu’il a le droit de garder le silence."

"C'est le dossier dont on ne voulait pas"

Comme dans l’enquête sur la disparition de Maëlys à Pont-de-Beauvoisin en Isère en août 2017, Nordahl Lelandais nie donc toute implication dans l’affaire "Arthur Noyer", aperçu pour la dernière fois après être sorti d’une boîte de nuit à Chambéry. Pourtant, plusieurs éléments du dossier l’incriminent déjà. Des caméras de vidéosurveillance ont repéré une Audi noire sur les lieux fréquentés par Arthur Noyer le soir de sa disparition et dans les mêmes créneaux horaires. Grâce à l’investigation menée en parallèle sur Maëlys, les policiers finissent par faire le lien entre ce véhicule et celui de Nordahl Lelandais. L’analyse de la téléphonique montre aussi que leurs téléphones portables ont "borné" au même endroit, au même moment, laissant penser que les deux hommes se sont déplacés ensemble. Enfin, quinze jours après cette fameuse nuit, Nordahl Lelandais se renseigne en faisant une recherche sur internet sur la "décomposition de corps humain".

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Quand il comprend que le client qu’il avait choisi de défendre dans une première affaire est suspecté dans une seconde affaire, Alain Jakubowicz confie : "Je me rends compte que tout est en train de partir en capilotade, et je suis furieux. Furieux contre lui, furieux contre moi. Mais je suis le seul responsable, et je me sens pris en otage.” Dans un premier temps, l’avocat pense donc refuser de le défendre sur ce second dossier, mais son équipe le "rattrape par les cheveux". "Lâcher" Nordahl Lelandais sur cette affaire, ce serait lâcher son client tout court. Marine Régnier, elle, souligne un facteur non négligeable dans cette prise de décision : la réponse médiatique. "Comment va-t-on interpréter que Me Jakubowicz puisse intervenir dans un dossier et pas dans le second ? Ne va-t-on pas tirer des conclusions de ce refus ? La marge de manœuvre pour s’en extraire était inexistante", conclut-t-elle dans "Le Coupable".

Nordahl Lelandais, tueur en série

Mais, dans les semaines qui suivent, avec la création de la cellule "Ariane" pour chercher un lien entre Nordahl Lelandais et d’autres affaires de disparition non élucidées, la tâche des avocats de la défense se compliquent encore : ils sont sur tous les fronts, ils doivent se préparer à répondre à d’éventuelles nouvelles accusations. L’affaire Lelandais prend alors une autre dimension et Alain Jakubowicz ne cache pas son agacement : "les disparus de la terre entière, c’est Nordahl Lelandais qui les a trucidés, sous prétexte que cela s’est produit dans un rayon de 200km de l’endroit où il résidait ! On marche sur la tête ! On vend un espoir à tous ces gens qui sont à la recherche d’un proche [disparu], et c’est dégueulasse…", martèle-t-il. Lorsque Nordahl Lelandais est finalement mis en examen pour l’assassinat du caporal Arthur Noyer, Alain Jakubowicz se résigne : "J’encaisse le coup…" 

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Pour découvrir la suite du récit d’Alain Jakubowicz sur les coulisses de l’affaire "Maëlys", écoutez "Le Coupable", un podcast Original produit par Spotify et Europe 1 Studio de huit épisodes, disponible gratuitement et en exclusivité sur Spotify.