Mort de Robert Boulin : 36 ans après, la saga judiciaire rebondit

Robert Boulin, l'ancien ministre du Travail, retrouvé mort en 1979.
Robert Boulin, l'ancien ministre du Travail, retrouvé mort en 1979. © AFP
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CB avec AFP
Une information judiciaire pour "arrestation, enlèvement et séquestration suivi de mort ou assassinat" a été ouverte par le parquet de Versailles.

Le mystère entourant la mort de Robert Boulin en 1979 va-t-il être levé? Après un non-lieu rendu en 1991 et deux précédents refus de réouverture de l'enquête, le parquet de Versailles a ouvert une information judiciaire pour "enlèvement et séquestration". Alors que l’enquête initiale avait conclu à un suicide, la famille Boulin, qui pense à un assassinat, se bat depuis 36 ans pour rouvrir l’enquête. Retour sur une (très) longue saga judiciaire.

Comment Robert Boulin est-il mort ? Le 29 septembre, Robert Boulin quitte le ministère du Travail, dépose des dossiers confidentiels dans son appartement de Neuilly-sur-Seine, puis part en voiture pour une destination inconnue. Son corps sera retrouvé le lendemain matin dans 50 cm d'eau dans l'étang du Rompu à Saint-Léger-en-Yvelines, dans les Yvelines. Officiellement, la dépouille a été retrouvée le matin par une patrouille de gendarmerie mais plusieurs témoignages font état de sa mort dès la nuit précédente.

Sur quoi s’appuie l’enquête pour conclure au suicide ? Officiellement, Robert Boulin se serait suicidé après avoir absorbé des barbituriques. Pour conclure au suicide, la justice avait notamment retenu les huit lettres envoyées la veille de sa mort par le ministre à des médias et différentes personnalités, dont Jacques Chaban-Delmas, ancien Premier ministre. Dans l’une des lettres posthumes, Robert Boulin expliquerait son geste : "Je préfère la mort à la suspicion, encore que la vérité soit claire".

Le jour de la mort du ministre, le juge Renaud Van Ruyumbeke avait demandé l'ouverture des comptes bancaires de Robert Boulin. Une décision faisant suite à la publication d’un article affirmant qu'en 1974, Robert Boulin, homme d'Etat RPR réputé intègre aurait acquis, dans des conditions douteuses, deux hectares de garrigue à Ramatuelle auprès de son ami promoteur Henri Tournet.

Des ratés lors de l’autopsie ? Les proches de l'ancien ministre ont toujours fait part de leur scepticisme à l'égard de la version officielle. Au printemps 1983, la famille de Boulin juge que des éléments infirment la thèse du suicide. Ils portent donc plainte contre X pour homicide volontaire. A la fin de l’année, le corps de l’ancien ministre est exhumé.

La deuxième autopsie révèle deux fractures au visage non relevées en 1979. Et aucune analyse médicale des poumons, qui aurait dû établir la noyade, n'est trouvée dans le dossier de 1979. Le juge Corneloup demande l'autopsie des poumons, mais les organes, placés dans des bocaux et enterrés au cimetière de Thiais, sont introuvables. En avril 1988, la famille porte plainte pour destruction de preuve. Malgré de nombreuses démarches pour obtenir des précisions sur la mort de Robert Boulin, un non-lieu est prononcé en septembre 2011. Il clôt l'instruction pour homicide volontaire.

Quelles sont les différentes tentatives de la famille ? Depuis, la famille, persuadée que Robert Boulin a été assassiné parce qu'il disposait d'informations sur un financement politique occulte, ne cesse de chercher de nouveaux éléments permettant de relancer l’enquête. En octobre 2009, les propos de Jean Charbonnel, ancien ministre de George Pompidou, déclenche le dépôt d’une nouvelle plainte. "Je n'ai plus de doute, je pense qu'il a été assassiné", déclare-t-il dans un entretien exclusif accordé au journaliste de France Inter Benoît Collombat. Mais en juin 2010, le garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, annonce que le dossier est "clos en l'absence d'éléments nouveaux".

Un an plus tard, c’est un gendarme qui redonne espoir à la famille Boulin. "Robert Boulin n'est pas mort noyé", affirme un ancien gendarme selon lequel le corps du ministre était "quasiment à quatre pattes" et "la tête hors de l'eau". En janvier 2013, la fille de Boulin demande à la garde des Sceaux Christiane Taubira une réouverture de l'enquête. Et un mois plus tard, Jean Charbonnel se dit prêt à livrer deux noms qu'Alexandre Sanguinetti, figure du gaullisme, lui a présenté comme étant les responsables de la mort de l'ancien ministre.

Quels sont les nouveaux témoignages qui relancent l’affaire ? Il faudra attendre 2015 et le dépôt d’une nouvelle plainte par la fille de Robert Boulin pour que l’enquête soit relancée. Dans une lettre fournie à la justice par la fille de Boulin, un témoin se dit prêt à déposer devant un juge et raconte que "le lundi 29 octobre 1979, alors" qu'il quittait "Montfort-L'Amaury pour (se) rendre à Saint-Léger", il avait reconnu dans une Peugeot "Boulin assis à la place du passager à l'avant, deux hommes étant avec lui dans le véhicule, l'un à la place du conducteur, l'autre à l'arrière".

"Quelques heures avant sa mort, Robert Boulin n'était pas seul dans son véhicule mais accompagné de deux inconnus, dont l'un conduisait. Ces deux personnes ne se sont jamais manifestées auprès de la justice. Robert Boulin n'avait pas de rendez-vous prévu. Cette liberté entravée peu avant sa mort est corroborée par d'autres éléments", avait estimé Me Marie Dosé, l’avocate de la fille Boulin, lors du dépôt de plainte. Des éléments qui ont convaincu le parquet de Versailles de nommer un juge d’instructions pour enquêter (une nouvelle fois) sur l’affaire.