L’Etat jugé pour déni de justice

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avec Noémie Schulz , modifié à
L’Etat est assigné par 200 salariés qui dénoncent les délais trop longs devant les conseils de prud’hommes.

L'attente peut parfois durer jusqu'à six ans. 200 salariés, qui dénoncent les délais trop longs devant les conseils de prud’hommes, ont assigné l’Etat en justice. L’exécutif est donc jugé pour déni de justice, mercredi, à 14 heures, au tribunal de grande instance de Paris. Les prud’hommes reconnaissent des lenteurs et plaident le manque de personnel pour traiter des dossiers toujours plus nombreux.

Trois ans d’attente avant le procès de son entreprise. Sylvie* a fait les frais de cet engorgement. Agent de maitrise pendant des années dans l’entreprise de luxe Cartier, elle a été licenciée du jour au lendemain, pour motif économique. Son cas a mis trois ans à être jugé au tribunal administratif de Bobigny. En attendant, elle n’a pas retrouvé d’emploi et elle a dû quitter la région parisienne, son loyer étant trop cher. Quand elle a fini par obtenir 40.000 euros de réparation, sa vie a alors été complètement bouleversée.

Ces délais conséquents ne sont pas circonscrits au tribunal de Bobigny. Ils touchent les prud'hommes de toute la France. A Paris, Bordeaux et Marseille, il faut un an et demi pour passer devant un juge départiteur, c'est-à-dire un magistrat appelé pour trancher si les conseillers prud'hommaux ne se sont pas mis d'accord. Une démarche qui prend déjà du temps à elle seule.

"Pas digne d’un pays comme le nôtre". La situation est particulièrement enlisée à Bobigny où il faut près de deux ans pour que les dossiers des salariés soient portés devant le tribunal des prud'hommes. Pas étonnant pour la présidente du conseil des prud'hommes de Seine Saint Denis. Dans son tribunal, il n'y a plus qu'un seul juge départiteur. Ce magistrat ne peut traiter qu'une trentaine d'affaires par mois. Actuellement, il y a donc mille dossiers en attente, une situation intenable et difficile à assumer, confie Djamila Mansour.

"Je suis en colère parce que je me sens impuissante. C’est très long pour eux. C’est difficile. Ils me parlent de leurs problèmes financiers. Parfois, ce sont des personnes qui ont subi un licenciement, qu’ils considèrent comme abusif. Ils ont l’impression de vivre une double injustice. Souvent, pour les salariés, ce sont les procès de leur vie. Ils sont en attente, et ça les paralyse. Ce n’est pas digne d’un pays comme le nôtre de faire attendre les justiciables aussi longtemps", estime la présidente du conseil des prudhommes de Seine Saint Denis, au micro d’Europe 1.

L’Etat déjà condamné. Las, de plus en plus de salariés renoncent à faire valoir leurs droits, comme celui de se faire payer des heures supplémentaires, s’inquiètent les avocats. En 2010, l'Etat a déjà été condamné à 400.000 euros de dommages et intérêts pour ce déni de justice. Avec une telle somme, on peut payer un greffier pendant 16 ans, ou un juge pendant 11 ans, souligne le syndicat des avocats de France.

Plus de magistrats ? Le nouveau garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, a d’ailleurs érigé en "priorité absolue" "l’obtention de moyens" pour une "justice en permanence au bord de l’embolie". En visite à l’Ecole nationale de la magistrature, vendredi 5 février, le ministre de Justice avait mis l’accent sur la volonté du gouvernement de renforcer les effectifs de magistrats, rappelle Le Monde. De nouvelles recrues doivent entrer en juridiction après deux ans et demi de formation.

 

* Le prénom a été changé.