Les bugs en série de la nouvelle plateforme d'écoutes judiciaires

Le ministère de la Justice
Le ministère de la Justice © AFP
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Thalès a été chargée de centraliser les interceptions nécessaires aux enquêtes y compris dans le domaine terroriste. Début mars, entre 1.500 et 1.800 écoutes ont été interrompues.

"Un merdier sans nom". C’est en ces termes qu’un haut responsable policier résume la panne qui touche la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ). La Société Thalès est chargée, depuis octobre, de centraliser les interceptions nécessaires aux enquêtes, y compris dans le domaine terroriste. Mais depuis son lancement, les incidents techniques se multiplient, mettant en péril de nombreuses enquêtes. Selon Libération, le dernier couac, survenu début mars, aurait abouti à un arrêt total de la plateforme, interrompant entre 1.500 et 1.800 écoutes sur des enquêtes en cours. Thales a promis des améliorations techniques significatives d’ici les prochaines semaines.

Quelle est cette plateforme ? La Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) a été déployée sur tout le territoire en octobre 2015. Présentée comme une merveille technologique, cet outil est censé centraliser l’ensemble des écoutes judiciaires, réalisées aussi bien par la gendarmerie que par la police. Auparavant, les services d’enquête avaient recours à plusieurs prestataires de service. Ils louaient en effet des centrales d'écoutes, dans toute la France, à une demi-douzaine de sociétés spécialisées.

Quels sont les incidents en question ? Mais depuis son lancement, cette nouvelle plateforme essuie de nombreuses critiques. Selon Libération, malgré une longue phase de tests et la mise à jour de versions successives, le nouvel outil est loin d’être opérationnel. "Coupures dans les écoutes, connexions défaillantes, fonctionnalités manquantes, problèmes dans la confection des scellés", détaille le quotidien. A la suite de ces différents incidents, les enquêteurs ont découvert que le support technique de Thales n’était joignable qu’en semaine, durant les heures de bureau.

Le "crash majeur" est intervenu le 29 février, vers 9 heures. Plusieurs services d’enquête s’inquiètent alors de ne pas pouvoir se connecter à la plateforme d’écoutes. L’ensemble des services sont concernés, dont les plus cruciaux dans la lutte contre le terrorisme, comme la sous-division antiterroriste (Sdat) ou la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), rapporte Libération. Durant cette semaine de chaos, entre 1.500 et 1.800 écoutes sont interrompues, perturbant ainsi des dizaines d’enquêtes. Et la plateforme de secours, censée pallier ce type de pannes, n’a pas été opérante.

Quelles sont les conséquences de ces bugs ? Officiellement, le ministère de la Justice, qui reconnaît des "perturbations", assure qu'aucune donnée n'a été perdue et que les conversations enregistrées ont été stockées dans les ordinateurs. Les enquêtes judiciaires de la DGSI n’auraient pas été impactées, assure une source proche du dossier à Europe 1.

Même discours rassurant du côté de la police judiciaire parisienne. Mais les raisons sont toutes autres : la plupart de leurs services, notamment la brigade de répression du banditisme, refusent d'avoir recours à cette nouvelle plateforme d'écoutes, évoquant notamment l’impossibilité de transférer les écoutes sur le portable des enquêteurs. Lors de la panne, de nombreux services ont donc eu recours, comme à l’accoutumée, à l’ancien système d’écoutes, qui permet de passer directement par les opérateurs téléphoniques grâce à des prestataires privés, détaille Libération.

" Le législateur est en train de rendre obligatoire le recours à un système qui ne fonctionne pas "

Un système trop onéreux ? Sauf que cet ancien système, jugé trop onéreux, doit définitivement s’arrêter en décembre. La loi votée la semaine dernière à l'Assemblée, qui doit passer au Sénat dans les prochains jours, va en effet obliger, dès la fin de l'année, policiers et gendarmes à utiliser uniquement la plateforme gérée par Thales. "Le législateur est en train de rendre obligatoire le recours à un système qui ne fonctionne pas. La PNIJ n’a de sens que si elle est exclusive", estime un haut responsable de la Place Beauvau interrogé par Libération.

A l’origine, la plateforme de Thalès visait à réaliser des économies dans le budget du ministère de la Justice. Mais l’utilisation parallèle des deux plateformes alourdie forcément l’ardoise. D’autant plus que, selon Libération, la PNIJ est aussi un gouffre financier. A tel point qu'un rapport de la Cour des comptes aurait été classé confidentiel-défense. Du côté du ministère de la Justice, on persiste à dire que ce système permet bel et bien de faire des économies, avançant un chiffre d’un million d'euros par mois depuis le début de l'année.

Un groupe de travail, réunissant les ingénieurs de Thalès et les enquêteurs, a été mis en place il y a quelques mois. Des mises à jour sont attendues d'ici la fin du mois et d'autres avant la fin de l'année.