Il se fait appeler "César" et pourrait être l'homme qui a réussi à prouver la torture d'Etat en Syrie. Cet ancien photographe légiste de la police militaire du régime baasiste a fui le pays en juillet 2013, en emportant avec lui son effroyable travail : 55.000 clichés de cadavres d'opposants, stigmates de la répression de la révolte syrienne. Son témoignage et ces photographies, analysés par trois ex-procureurs de tribunaux spéciaux, ont permis d'établir le "rapport César". C'est sur ce document que se base aujourd'hui la justice française pour enquêter sur des "soupçons de crimes contre l'humanité" en Syrie. Explications.
César, photographe légiste du régime... La vie de César bascule peu de temps après le début de la révolte syrienne, en mars 2011. L'homme est photographe légiste, jusque-là cantonné à photographier des scènes de crime ou d'accident. Mais la répression de la révolte populaire orchestrée par le régime change la donne. César est affecté à une autre mission : photographier les corps des opposants, présumés ou confondus, torturés à mort ou exécutés dans les geôles du régime. Le but de ces clichés macabres est double. D'une part, ils permettent de délivrer un certificat de décès aux familles de ces dits opposants, sans avoir à rendre les corps. La mort est alors officiellement imputée à un "problème respiratoire" ou à "une attaque cardiaque". De l'autre, il s'agit de confirmer à la hiérarchie que l'ordre d'exécution a bien été appliqué.
…et l'effroyable routine de la torture. César est affecté à un hôpital militaire, où sont acheminés les corps depuis les prisons du régime. Là, il en reçoit jusqu'à 50 par jour. Le photographe passe 15 à 30 minutes sur chacun, le dossier de décès nécessitant quatre à cinq clichés par individus. Le spectacle est insoutenable : des images de corps décharnés, mutilés, scarifiés, des hommes aux yeux exorbités, les visages tordus par la douleur jusqu'au trépas. Certains clichés présentent un véritable charnier établi dans un hangar de l'hôpital : un ancien garage utilisé quand la morgue de l'établissement est pleine. Un spectacle que César ne supporte pas et qui vont le faire basculer.
C'est grâce à un lien de parenté que le photographe légiste entre en contact avec l'opposition syrienne. Ensemble, pendant 6 mois, au péril de leurs vies, ils élaborent une filière permettant d'extraire et de consigner ces clichés : 55.000 photos sur clés USB présentant 11.000 cadavres. Puis pendant quatre mois de plus, ils échafaudent le projet d'exfiltrer César et sa famille. C'est chose faite en août 2013.
L'élaboration du "rapport César". C'est à ce moment-là que les procureurs des tribunaux spéciaux, assistés de trois médecins légistes, se mettent à l'œuvre, sous l'impulsion d'un prestigieux cabinet d'avocat londonien, missionné par le Qatar. Ils analysent les clichés et auditionnent César. Leur travail, consigné dans un rapport de 30 pages, est rendu publique en janvier 2014. La conclusion est sans appel : les documents exfiltrés par César constituent des "preuves solides, susceptibles d’être admises par un tribunal".
Selon les magistrats, ces clichés "montrent le caractère systématique du recours à la torture et à l’assassinat des détenus par les agents du gouvernement syrien. Elles viennent à l’appui des soupçons de crimes contre l’humanité et pourraient également étayer des accusations de crimes de guerre contre le régime en place en Syrie". Ce rapport est présenté dans la foulée lors de la conférence de paix sur la Syrie, à Montreux, en Suisse. Il est ensuite détaillé au Conseil de sécurité des Nations Unies. A l'époque la France demande à l'instance de saisir la cour pénale internationale.
Comment en arrive-t-on à l'enquête française ? Retour en septembre 2015. Si le parquet de Paris, ouvre une enquête préliminaire contre "X" pour crimes contre l'humanité, c'est parce qu'il a été saisi par le ministère des Affaires étrangères. Le Quai d'Orsay a en effet le transmis le "rapport César" au procureur, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. Ce texte impose que tout fonctionnaire ou administration qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance d'un délit ou d'un crime, est tenu de le signaler à la justice. La justice va désormais tenter de déterminer si des Français figurent parmi ces victimes, seule condition à la poursuite des investigations. Et à la tenue d'un éventuel procès des responsables.