Rafael Padilla, premier artiste noir de la scène française

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Marc Messier dresse le portait du premier artiste noir de la scène française, Rafael Padilla, autrement appelé le "clown chocolat". Un film événement retrace sa vie sous les traits d'Omar Sy.

Un petit nègre qui se fait inspecter les dents sur un marché de la Havane, une scène ordinaire à Cuba en 1880. L'île est encore espagnole, les esclaves pas encore affranchis. Rafael a une dizaine d'années. Sa dentition est convenable, ses muscles, toniques, l'examen est concluant pour le marchand d'êtres humains portugais qui vient de le tripoter avant de l'acheter. Bon pour l'export. Raphael ne reverra plus jamais les siens, asservis dans une plantation de tabac. Le petit garçon va vomir tout l'Atlantique avant de débarquer dans quelque part près de Bilbao où le Negrito comme on dit là bas, fait sensation.

En 1880, un noir n'est pas loin de la créature extra-terrestre. Un phénomène que l'on ne peut voir que dans les zoos humains, Les expositions coloniales et ethnologiques installées dans les grandes capitales européennes. Une véritable curiosité dans ce bled espagnol de la fin du XIXe. Un enfant noir que les paysannes du village tenteront longtemps de blanchir à coup de brosse à cheval comme Rafael Pedilla le racontera plus tard. On ne saura jamais si Rafael Pedilla était son vrai nom ou une identité inventée par le marchand d'esclave pour faciliter les démarches commerciales. Qu'importe, Pedilla, c'est le nom que Raphael gardera toute sa vie. Au village, le Negrito fait rire tout le monde : le petit est facétieux, dégourdi et toujours de bonne humeur. Personne ne verra jamais ses larmes. A treize ans, Raphael deviendra valet de ferme puis portier, mineur, jusqu'au passage d'un cirque près de Bilbao. La chance de sa vie. L'adolescent fait le pitre, imite le singe, le directeur applaudit et lui tend son premier contrat.

Rafael Pedilla entre en scène, il n'a pas encore 18 ans. Une tournée en Espagne avant la France, Paris. Paris, la capitale des arts et du cirque à la fin du XIX eme siècle, le rêve d'un clown sans papier qui ne parle pas un mot de français. L'artiste clandestin arrive à Paris en 1888 et ne passe pas inaperçu. Normal : il est noir. un bamboula comme on désigne à l'époque les quelques noirs que l'on croise en France. On ne lui demande pas encore ses papiers, comme c'est le cas pour les étrangers, mais ce qu'il sait faire. Son corps est élastique, capable de prendre n'importe quelle forme. Son visage, un masque à même d'épouser n’importe quelle expression. Le tout Paris va se presser pour applaudir le premier artiste nègre. Pedilla est inventif, son jeu de scène, révolutionnaire, il se fait appeler Chocolat. La tour Eiffel est toute neuve, le banania pas encore chaud, Raphael rencontre la méga star du cirque de la Belle Epoque, il s'appelle Foot It. L'Anglais a tout pigé à une III e République éducatrice et coloniale. L'anglais sera le clown blanc, le civilisateur, Chocolat sera l'auguste. Un clown rouge devenu le premier clown noir, le sauvage. "Je vais être obligé de vous frapper monsieur Chocolat", une phrase culte, un formidable succès pendant plus de quinze ans. Toulouse Lautrec les peindra, les frères Lumière les filmeront. Rafael Pedilla mourra à Bordeaux en 1917, pauvres, édenté et oublié de tous. L'étonnant destin d'un petit nègre de la Havane, son corps enterré comme celui d'un esclave, dans une fosse commune.