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Le plus emblématique des James Bond, Roger Moore, est décédé cette semaine. L'occasion pour Marc Messier de dresser le portrait du père de 007, Ian Fleming.

1952… La guerre froide, larvée et globale… Le monde est bipolaire, noir et blanc, grouillant d’espions et truffé de traitres… Partout, la paranoïa, l’apogée du goulag en URSS et l’ouverture de la chasse aux sorcières en Amérique…  Loin des cocos, des messages cryptés et des tirs étouffés aux silencieux… Un anglais se la coule douce sous les tropiques… Son nom est Fleming… Ian Fleming : un retraité du renseignement naval britannique, devenu journaliste pour s’occuper...

Rejeton d’une grande famille de banquiers écossais, cet ancien d’Eton, passé par l’académie militaire de Sandhurst,  vit en Jamaïque 2 mois de l’année… Un deal passé avec son journal, le Sunday Times… Une villa blanche, simple, chic et de plain-pied, suspendue au-dessus d’un lagon transparent : La baie d’Oracabessa… Un petit coin de paradis déniché, quelques années plus tôt, en marge d’une réunion secrète avec la CIA…  Fleming se souviendra surtout de la belle négresse se baignant toute nue dans le lagon, ses mots à lui… Un sourire gourmand…  Fleming achètera l’endroit et y fera construire sa maison, qu’il baptisera « Goldeneye », le nom de code de l’une de ses anciennes missions, visant à protéger Gibraltar des nazis…

La moiteur sucrée des Caraïbes, la vanité des hibiscus, le bourdonnement des pales d’un  ventilateur… Derrière des jalousies closes sur des baies sans vitres…  Fleming penché sur son bureau… Il a 44 ans, le sourcil arrogant des Anglais bien nés, leur penchant pour l’alcool et leur nostalgie de l’empire perdu…  Il aime les femmes, les œufs brouillés, les livres rares et la guitare Hawaïenne… Fleming boit trop, fume trop mais il s’en fout… Ce matin du 12 janvier 52, il a encore des effluves de gin dans la voix et un mal fou à se concentrer : Dans son dos, sa maitresse enceinte n’arrête pas de se plaindre… Dehors, le jacassement des oiseaux moqueurs et le râle trainant de la mer…

Sur son bureau : Une vieille « Impérial portative » sur laquelle Fleming tape à 6 doigts quand il est inspiré, du beau papier qu’il achète à New York et un tas de cartouches de cigarettes… 4 paquets par jour qui tueront le bonhomme quelques années plus tard… A portée de main, sur quelques étagères, ses écrivains préférés : Thomas Mann et Georges Simenon… Entre l’Affaire Saint-Fiacre et la Montagne Magique : un drôle d’ouvrage sur les oiseaux des Antilles, l’auteur est un ornithologue, parfaitement inconnu, du nom de James Bond… James Bond : Un spécialiste des aigrettes, des carouges et des colibris… Bond, James Bond…  Une évidence… Ian Fleming n’ira pas cherché plus loin… Il vient de donner un nom, une identité fictive à l’espion qui se cache dans sa tête depuis longtemps : Son héros, son Double idéalisé, dont il va faire le plus célèbre agent secret du monde : James Bond…

La 1ère phrase de « Casino Royal »  son 1er roman, sortira toute seule : « L’odeur d’un casino, mélange de fumée et de sueur, devient nauséabonde à trois heures du matin »… Le livre sera écrit en 2 mois, comme chacun des 13 autres qui suivront… Des histoires toutes inventées à Goldeneye , le domaine jamaïcain de Fleming qui servira de décors à « Docteur No » le 1er James Bond au Cinéma… Ursula Andress, sortie des eaux, comme une apparition, une sauvageonne sublime et ruisselante sous les fenêtres de Fleming, ses jalousies grandes ouvertes …

En 1960… « Bons Baisers de Russie » fera de Fleming, l’un des auteurs les plus lus au monde…, « From Russia with Love », le titre original, du roman qui était l’un des livres de chevet de John Fitzgerald Kennedy… Le film ravira en secret Leonid Brejnev... Le N°1 soviétique de l’époque qui se le faisait projeter en boucle et en douce dans sa salle de cinéma privée du Kremlin… James Bond qui aura été l’espion le plus surveillé de l’histoire par le KGB… Sa psychologie, son imagination, ses parades, ses gadgets passés à la loupe… La centrale de renseignement soviétique organisant des séminaires, pour montrer à ses agents de quoi étaient capables leurs ennemis de l’ouest …

Ian Fleming ne verra jamais la fin de la guerre froide… Trop de tabac, trop d’alcool… Le père de James Bond mourra en 1964, à l’âge à 56 ans, terrassé par un infarctus en Angleterre, loin de la Jamaïque et de Goldeneye, la maison d’enfance de 007 qu’achètera, Bob Marley, quelques années plus tard… 007 sur fond de Reggae… Derrière les jalousies closes… Une autre musique… Un autre genre de fumée … Les ombres des disparus… Un sourire… Un haussement de sourcil… James Bond toujours vivant…