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Marc Messier dresse le portrait du prince Philip, l'homme dans l'ombre la reine Elisabeth II.

Un figurant, un prince de rien… Une vie passée dans l’ombre d’une reine : la sienne depuis bientôt 70 ans… Sa "sausage" (saucisse, en français), comme il la surnomme délicatement dans l’intimité… Sa "saucisse", l'amour version charcutière à Buckingham… Mieux que dinde, cochonne ou boudin, avouons-le, plus original que poulette : saucisse… Un petit nom affectueux, grassouillet, coloré, anglais. Une familiarité qu’il est le seul au monde à pouvoir se permettre avec Sa Majesté, Elizabeth II d’Angleterre, la femme qu’il a épousée, le 22 novembre 1947, à Westminster, "Lilibeth", comme il l’appelle, plus révérencieusement en public, avec laquelle il célébrera dans quelques mois, leurs noces de platine.

Philip, un prince gréco-germano-danois orthodoxe, devenu à son mariage, britannique, anglican, duc d’Edimbourg et Altesse Royale, quelques années plus tard. Un package sans couronne pour celui qui est aujourd’hui l’un des principaux piliers de la monarchie anglaise et le plus vieux prince consort du monde. Un prince "qu’on sort", partout, depuis toujours, en tout temps. Un prince que les anglais auraient parfois préféré cacher. Un gaffeur de 1ère catégorie, un drôle de loustic à l’humour souvent limite, demandant un jour à un handicapé s’il avait écrasé beaucoup de gens avec son fauteuil roulant, brisant, une autre fois, le rêve d’aller dans l’espace d’un adolescent rondouillet : "tu es trop gros pour ça", jugea le prince, le sourire impeccablement noué dans sa cravate.

Philip toujours, en Ecosse, plaisantant sur le whisky avec un moniteur d’auto-école, l’interrogeant sur sa méthode pour éviter que les autochtones ne soient ivres le jour du permis. Philip encore, en Chine, conseillant aux étudiants anglais sur place, de ne pas rester trop longtemps, pour ne pas avoir les yeux bridés. Un régal pour les échotiers anglais, un cauchemar pour le protocole royal, un prince consort, insortable pour le Foreign Office Anglais, longtemps obligé d’éteindre les incendies diplomatiques, allumés un peu partout par le duc d’Edimbourg.

Des bévues, des impairs, qui, sans qu’elle n’en ait laissé jamais rien paraitre, ont souvent beaucoup fait rire Elisabeth. Un type sans filtre et sans complexes, capable, autrefois, de la pourchasser, dans le train royal, déguisé en Dracula. Le seul homme au monde, a-t-elle confié un jour, à la traiter comme un être humain normal. Philip, le seul homme de sa vie, son cousin germain devenu son mari, son unique confident. Son roc, comme elle dit toujours. Un homme paradoxal, à la fois rugueux, cassant, mufle et dominateur mais aussi sentimental, galant, littéraire et facétieux. Tout le contraire d’un prince lisse et satiné. Un nostalgique des colonies perdues, des indigènes qu’on traitait comme des chevaux, des bonnes qu’on troussait dans les écuries.

Un aristocrate baroque d’une autre époque, du siècle de son arrière-arrière-grand-mère maternelle la Reine Victoria et de son arrière-arrière-grand-père paternel, le Tsar Nicolas 1er. Philip d’Edimbourg, un homme du 19ème, né au 20ème siècle. Un mordu de courses d’attelage, de sciences, de musiques militaires, de polars, et de contes de Kipling, le chantre de l’empire, son auteur fétiche qu’il cite à longueur de temps. "Sois un homme, mon fils", lui récitait déjà son papa, lorsqu’il était enfant. Un petit prince grec d’origine allemande et danoise, un arbre généalogique complexe, les branches multiples et entrecroisées des familles royales européennes. Une naissance à Corfou, une famille chassée de son pays en 1922. Philip a 1 an, il quittera la Grèce, caché dans une caisse d’oranges, dans la soute d’un bateau anglais. L’exil, la France, l’école puis l’académie militaire en Angleterre. Sa mère, schizophrène, fondera brièvement un ordre monastique et finira à l’asile, son père, joueur et alcoolique, terminera ruiné à Monte Carlo. Ses sœurs épouseront des princes allemands, dont l’un bien connus pour ses accointances nazies.

Un destin singulier pour ce jeune lieutenant, pris en charge par son oncle Lord Mountbatten, dont il prendra le nom, un prince sans nom qui rencontrera sa future épouse, juste avant de partir faire la guerre en 1939. Philip a 18 ans, Elisabeth 13 ans. Il lui fera 4 enfants. Elle lui pardonnera tout, ses boulettes, ses incartades. Il sacrifiera sa carrière militaire pour elle, il la suivra partout, toujours en retrait, toujours deux pas derrière elle, l’exigence du protocole. Jamais le droit de lui prendre la main en public. Une main sur les fesses quand personne ne regarde. Philip d’Edimbourg, un homme adoré des Anglais, un dieu vivant, au Vanuatu, un très vieux prince, qui se présentait il y a encore quelque mois, comme le plus grand expert du monde en plaques d’inaugurations.