Mille millions de mille sabords, v'là le capitaine Haddock !

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Tintin a beau s'exposer au Grand Palais c'est bien le capitaine Haddock qui est le personnage préféré des lecteurs de la fameuse BD d'Hergé.

Janvier 1941. L’Europe plongée dans la nuit. Au large de la Belgique occupée par les Nazis, un cargo fait route vers l’Afrique du Nord : le Karaboudjan. Dans sa cale, de l’opium, caché dans des boites de crabe et Tintin retenu prisonnier avec Milou.

Au-dessus d’eux, enfermé dans sa cabine, se trouve le capitaine du bateau. Un alcoolo, barbu et ébouriffé, qui parle tout seul dans ses bulles, une loque humaine. Reconnaissable à l'encre sur son gros chandail bleu, le marin a 22 ans de long cours et une épave échouée au fond du Loch Lomond. Dans son dos, son second l’a trahi et son équipage qui trafique de la drogue. Trop bourré, lui ne voit que sa bouteille de whisky.

Subitement, Tintin, venu des entrailles du bateau, surgit par le hublot de sa cabine.  Ils ne se sont jamais vus et c’est là que commence leur histoire, en page 15 du Crabe aux Pinces d’Or. Haddock va devenir, au fil des albums suivants, le meilleur ami de Tintin, son complice et sa figure paternelle. Celui qui, du Tibet, au Pérou, du Yémen à l’Arctique, suivra le blondinet et son « chienchien », jusque sur la Lune.

Haddock, comme le poisson fumé anglais, est un personnage hors-norme : la pipe toujours allumée, la barbe parfois incendiée, le cœur ardant, l’âme palpitante, le foie pas loin de la cirrhose. Un ivrogne romantique et flamboyant, qui après les premières aventures très politiques du jeune globe-trotteur, va apporter de l’humour, de la picole, de l’humanité et des poils à un Tintin glabre, satiné et souvent marmoréen.

On passera sur toutes les fois où le Capitaine a failli, bien malgré lui, tuer Tintin et sur une tentative de viol sur le jeune belge dans le désert. Tintin est de dos, sous la forme d’une bouteille, comme un phallus planté dans les dunes, d’après les psys. Le Capitaine en plein délire, se jette sur lui comme un sauvage. Un fantasme caché dans les sables ? On ne saura jamais, mais les tintinophiles hétéros préféreront interpréter la scène comme la simple hallucination comique d’un poivrot en manque.

Haddock est un Capitaine sans âge, coiffé d'une casquette introuvable dans aucune marine du monde. C'est aussi un vieux garçon, sans l’ombre d’une femme dans son sillage. Juste la Castafiore, avec laquelle il ne s’est rien passé et sa vieille maman, que l’on ne connaîtra jamais, qu’il réclamera une fois en pleurnichant entre 2 goulées de Scotch. Pas d’autres dames à l’horizon, comme pour Tintin, Tournesol et les autres. Un monde d’auto-érotiques, créé, étrangement, par un Hergé qui passé toute sa vie entouré de femmes, plus belles les unes que les autres.

Le reste de la famille du Capitaine se résumera à son aïeul, le Chevalier François de Hadoque,  un marin de Louis XIV, dont le Capitaine rachètera le château avec Tournesol, à la fin du Trésor de Rackham le Rouge : Moulinsart, la copie de Cheverny, sans les ailes mais avec Nestor au garde à vous.

Haddock est doté une santé de fer. C'est un type increvable, qui non seulement est un fumeur impénitent et un alcoolique invétéré mais qui ne cesse de s’en prendre plein la gueule à longueur d’albums. Des coups de matraque, de crosses, de tête, de poings, de pieds, sans compter toutes les bestioles qui l’auront mordu, piqué, étranglé… Au total, 249 accidents médicaux répertoriés, n’importe quel autre personnage serait mort depuis longtemps.

Mais Haddock c'est aussi un langage. Des jurons qui montent d’un lit d’hôpital. Des milliers de millions de mille sabords lancés aux visages de médecins décontenancés. Haddock les traite de tous les noms qu’il connait. Il débite les insultes les plus singulières du monde, aussi surréalistes qu’indolores. Qui n’a pas cherché dans le dictionnaire la définition de Bachi-bouzouk, d’iconoclaste, d’olibrius ou d’Anthropopitèque ? 

Haddock a aussi un goût prononcé pour les bougres, surtout les plus improbables : ses bougres de faux jeton à la sauce Tartare ou ses Bougres de Papou des Carpathes. Un vocabulaire pour tromper l’ennemi et échapper à la censure de l’après-guerre, bannissant les gros mots pour les jeunes. Entre ses chouettes mal empaillées, ses Incas de Carnaval et ses Mitrailleurs à bavette, il faudra chercher longtemps l’origine du vocabulaire Haddockien. Chez Céline ? L’écrivain, qu’admirait le plus Hergé. Ou bien chez le frère ou la grand-mère du dessinateur, l’un militaire, l’autre maraîchère, deux parents aux mots très corsés ? Le mystère du Capitaine restera entier.

Archibald Haddock. On n’apprendra son prénom qu’au milieu de la jungle avec les Picaros, dans le dernier album. Haddock, le personnage le plus maboule, le plus sentimental, le plus baroque  des aventures de Tintin. Peut-être,  dans le fond, le véritable héros du chef d’œuvre d'Hergé.