Le cinéma en rouge et bleu de Pedro Almodovar

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Pedro Almodovar présidera le jury de la 70ème édition du Festival de Cannes cette année. S'il n'a jamais remporté la Palme d'or, le cinéaste espagnol a marqué le cinéma français. Un cinéma explosif de sentiments et de couleurs.

Un cinéma en rouge et bleu. La bande-annonce d’Almodovar. Le rouge de la corrida, des règles et de la Révolution… Le rouge de la Passion du Christ et du désir des femmes, la couleur des prostituées de Babylone et des mariées romantiques… Le bleu des bosses de l’âme, de la morale et de la Liturgie… Le Bleu d’un ciel madrilène et de la mélancolie de Picasso… La couleur de la Vierge, de l’inconscient et de l’oiseau des contes de fées.

Le rouge et le bleu d’Almodovar. Les deux couleurs primaires, saturées et antagoniques de tous ses drames. Ses affiches, ses lumières, ses décors, ses costumes… La couleur pour exacerber l’émotion, pour enflammer la douleur, pour accentuer le plaisir. Le rouge qui s’oppose au bleu. Le féminin au masculin. Le rouge des filles et le bleu des garçons. Un accord impossible.

Un tableau “Almodovesque” rouge et bleu avec des pointes de jaune. La couleur des fauves, des traitres et de la folie. Sa palette chromatique comme les couleurs de ses sentiments. Son amour fou pour les femmes, souvent esquintées, sans cesse limites, toujours lumineuses. Son problème avec les hommes, des menteurs, des lâches, des minables… Presque tous des salauds, quand ils ne rêvent pas de changer de sexe. L’identité trouble, tordue, la maternité aliénée, empruntée, la filiation compliquée, incestueuse, l’amour braque, ravageur, les fils conducteurs d’une œuvre pleine de cris et de chagrins, de rouges à lèvres et de fond de teint, de gros seins et de faux seins…

Des films remplis de rires trop forts, de coïts brutaux et de brèves retrouvailles. Des travestis dans tous les coins, des homos comblés, des lesbiennes punks, des hétéros frustrés… Des personnalités déjantées, tout aussi pudiques qu’exhibitionnistes, des méprises tout le temps, des tonnes de mensonges. Almodovar, un petit garçon tourmenté devenu un homme torturé, à fleur de peau, quelqu’un qui connait les femmes, mieux qu’elles-mêmes, confesse Adriana Ugarte, l’une de ses dernières muses. Pedro, l’interprète abouti des subtilités féminines, sourit Victoria Abril, l’une de ses fiancées cinématographiques. 

Un homme entouré de femmes : sa mère chérie et ses actrices, ses doubles devant la caméra : Carmen Maura, Rossy de Palma, Marisa Paredes et naturellement Penélope Cruz, sa créature, celle pour laquelle Almodovar avoue qu’il aurait pu basculer, aimer une femme. Pedro Almodovar, un fils à Maman, Francisca, la femme de sa vie. L’histoire d’un petit garçon de la Mancha, né le 24 septembre 1949. L’Europe qui renait de ses cendres, l’Espagne plongée dans la nuit du Franquisme. L’Espagne des mules et d’un seul repas quotidien. Les discours du Caudillo, la censure et la délation à tous les étages d’un pays éteint et pouilleux.

Les Almodovar n’ont pas l’électricité. Le sol de la maison est en terre. Sa maman est l’écrivain du village, elle rédige des lettres dans lesquelles elle invente des sentiments, des choses jolies, joyeuses pour rendre heureux celles et ceux qui les lisent. Un peu de fiction pour embellir la réalité, pour la rendre plus vivable, selon les mots d’Almodovar.

Une scolarité chez les Franciscains, avant de partir à l’aventure. Madrid sans un sou, Pedro a 17 ans. Il n’entrera jamais à l’école officielle de cinéma, fermée, sur ordre de Franco, quelques jours avant son arrivée. Un boulot d’employé à la Compagnie nationale de téléphone. Dix ans derrière un bureau le jour, une caméra Super-8 au poing la nuit : Ses premières images, ses premiers petits films secrets, ses modèles Hitchcock et Bunel. 1975, le général est mort, l’Espagne va revivre à la lumière d’un jeune Roi et d’une bande de jeunes artistes iconoclastes. La démocratie, la Movida, Almodovar sera le réalisateur de la résurrection du pays de Don Quichotte et de l’Amour sorcier.

Un Téléphone qui sonne, un filet de sang qui coule… Une jeune impudique qui entrouvre les jambes, une vieille hystérique qui crie des insanités… Du rouge, du bleu, un peu de jaune, du Rose pour donner plus de kitch au kitch. Du noir pour faire le deuil du sentiment.  Pedro Almodovar, Roi baroque à Cannes, des palmes aux pieds, des plumes au cul. Derrière le bouffon outrancier, l’un des plus grands tragédiens du cinéma moderne.