Joe Medicine Crow, le dernier grand chef indien, s'est envolé

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Joe Medicine Crow, le dernier grand chef indien, est mort à l'âge 102 ans. Ancien combattant de la tribu Crow, il a été décoré en France de la Légion d'honneur et en 2009, par Barack Obama, de la médaille présidentielle de la Liberté, plus haute distinction américaine pour un civil.

Des tuniques bleues rougies par le sang, déchirées par les balles et les flèches, quelques ultimes gémissements, des crânes scalpés, la puanteur des viscères, le général Custer et ses cavaliers sont tous morts. Les Sioux et les Cheyennes viennent de remporter la dernière grande victoire indienne. Ce 26 juin 1876, Sitting Bull et Crazy Horse entrent dans l'histoire américaine. La bataille de Little Bighorn, du nom d'une rivière qui coule dans cette vallée perdue d'une région qui n'a pas encore de nom, qu'on appellera plus tard le Montana. Little Bighorn, la naissance du mythe de l'Amérique qui se bat jusqu'au bout, jusqu'au dernier de ses hommes. Cette histoire, Joe Medicine Crow l'a entendue 100 fois lorsqu'il était tout petit. Une bataille racontée par son grand-oncle, l'un des éclaireurs indiens du général Custer qui avait échappé au massacre. Une histoire que Joe Medicine Crow passera sa très longue vie à raconter à son tour dans des livres et des conférences. A 102 ans, celui que son peuple avait surnommé Hig Bird, l'oiseau qui vole haut, était une mémoire, un passeur entre deux cultures et trois siècles.

Joe Medicine Crow naît un jour d'automne 1913 au cœur du Montana, à Lodge Grass, une réserve indienne des Crow. Crow, un nom de corbeau, donné à son peuple par les premiers colons américains. Une réserve à quelques battements d'aile seulement du site de Little Bighorn, comme un signe des esprits. Joe Medicine Crow, dit aussi Crow Joe, sera élevé par ses grands-parents. Une baraque en bois, le fumé rance d'un vieux poêle, le moelleux des peaux tannées des bisons disparus, la Première Guerre mondiale n'a pas encore éclaté. Buffalo Bill est encore vivant, son Wild West Show sillonne toujours l'Amérique avec ses vieilles vedettes du Far West.

Joe Medicine Crow est petit, un peu chétif. A 6 ans, son grand-père décide de faire de lui un homme. Un entraînement de guerrier, l'enfant courra pieds nus dans la neige pour endurcir son corps, nagera tout nu dans la rivière glacée pour fortifier son esprit. Une initiation un peu rude mais infiniment précieuse pour la suite lorsque beaucoup plus tard, Crow Joe ira faire la guerre en Europe. Les récits des anciens ont aiguisé sa curiosité pour l'histoire américaine en général, celle des Indiens en particulier. Il étudiera l'anthropologie et sera l'un des premiers autochtones à décrocher un master en 1939, il a 26 ans.

L'Amérique voit encore Hitler de loin, que Joe Medicine Crow est rattrapé par les fantômes de Little Bighorn. Un contrat à Hollywood sur le tournage de "La Charge fantastique". Errol Flynn en général Custer, Anthony Quinn dans le rôle de Crazy Horse, le jeune indien quittera le film, furieux des libertés prises par les scénaristes de la Warner. Chez les Crow, on ne badine pas avec la mémoire des ancêtres. C'est le corps couvert de leurs peintures de guerre rouges que l'intrépide jeune indien infiltrera quelques années plus tard, les lignes allemandes. Une plume d'aigle sacré planquée sous son uniforme américain, l'éclaireur de la 103ème division blindée mènera tout seul en territoire ennemi, plusieurs raids hardis, prenant une position sur la ligne Siegfried, volant des dizaines de chevaux dans une garnison de la Wehrmacht. Crow Joe, désarmant à mains nues un soldat, épargnant la vie d'un autre qui s'apprêtait à le tuer. Autant d'actes de bravoure dignes des anciens guerriers de sa tribu. Joe Medicine Crow reviendra chez lui sans une égratignure, couvert de gloire et de médailles. Mais le plus grand honneur viendra de son peuple qui lui décernera le titre de "Chef de guerre". Le plus beau des quartiers de noblesse chez les Peaux-Rouges. Crow Joe était le dernier des derniers grands chefs à plumes. High Bird s'est envolé, laissant juste derrière lui une plume d'aigle sacré.