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Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte la provocation non sans conséquences d’un député suédois. En janvier 1939, un membre du parlement suédois propose la candidature d’Adolf Hitler au prix Nobel de la Paix pour dénoncer l’inaction des nations européennes face aux agissements du dictateur allemand...

Le prix Nobel de la paix relève du Parlement norvégien, il est d’ailleurs remis à Oslo, en Norvège. Les autres prix Nobel relèvent d’un comité suédois. Pour quelle raison ? Parce que jusqu’en 1905, les deux territoires dépendaient de la même couronne et les deux pays se sont séparés cette année-là. Ils se sont tout naturellement réparti les prix Nobel et la Norvège a conservé la désignation du prix Nobel de la paix.

C’est la raison pour laquelle c’est le Parlement norvégien qui sélectionne le comité de cinq personnes, élu pour six ans, qui désignera les lauréats pendant ces six ans. A la suite de la nomination, le prix est remis en Norvège.

Une lettre pour dénoncer la nomination de Chamberlain

Le 27 janvier 1939, Eric Gottfried Christian Brandt, un député suédois, écrit au comité norvégien du Nobel de la paix et propose la candidature d’Adolf Hitler. Ce dernier est alors au pouvoir depuis six ans et pour la seule année 1938, il a envahi l’Autriche avec l’Anschluss, il est entré en Tchécoslovaquie, il a annexé les Sudètes (la minorité allemande intégrée à la Tchécoslovaquie). Les Français et les Anglais n’ont pas bronché. Pire : ils ont signé les accords de Munich de septembre 1938 par lesquels ils ont, pour ainsi dire, validé l’annexion de la Tchécoslovaquie par Hitler, croyant ainsi éviter la guerre.

C’est à ce moment que le député suédois Brandt apprend qu’il est question de donner le prix Nobel de la paix à Neville Chamberlain, premier ministre anglais qui a validé les accords de Munich pour les Britanniques.

Brandt est absolument furieux. C’est un député social-démocrate, farouchement antifasciste qui ne comprend pas qu’on puisse désigner l’un de ceux qu’il considère comme un lâche. Il considère que Chamberlain et Daladier se sont couchés devant Hitler en faisant semblant de croire à sa volonté de paix. Daladier lui-même n’y croyait pas un seul instant : en rentrant de Munich après la signature des accords, il s’est exclamé, en voyant la foule venue l’applaudir à l’aéroport du Bourget, « Ah les cons ! S’ils savaient ».

Brandt, de son côté, décide d’écrire une lettre provocatrice au comité norvégien, le 1er février 1939. Le contenu de la lettre est explicite : puisque vous vous apprêtez à prendre Neville Chamberlain comme prix Nobel de la paix, pourquoi pas Hitler ? Il écrit : « Hitler, un homme qui, de l’avis de millions de personnes, mérite plus que quiconque au monde cette récompense hautement respectée par son amour éclatant pour la paix, documenté plus tôt dans son célèbre livre Mein Kampf qui est, à côté de la Bible, peut-être le morceau de littérature le plus populaire au monde, ainsi que son accomplissement pacifique, l’annexion de l’Autriche. Hitler, s’il n’est pas inquiété et laissé en paix par les fauteurs de guerre, pacifiera l’Europe et peut-être le monde entier. Oui, Hitler, c’est ce prince de la paix en lequel des millions de personnes placent tous leurs espoirs ».

Pas de prix Nobel pendant la guerre

L’ironie de la lettre est largement palpable aujourd’hui mais ce n’était pas le cas à l’époque. Personne ne savait qui était Brandt, député suédois. Tout le monde dans son pays a bien compris qu’il se moquait du monde mais ailleurs en Europe, il a été largement vilipendé et différentes structures et associations dans lesquelles il devait faire des conférences en faveur de la paix ont annulé les événements.

Brandt, lui, était enchanté de l’attention car il estimait son but atteint : il a disqualifié Chamberlain, qui n’a donc pas obtenu le prix Nobel de la paix, et a ridiculisé Hitler dans le même temps. Cela n’eut toutefois pas une importance capitale : cette année-là, en 1939, il fut décidé qu’aucun prix ne serait décerné. Cette décision a perduré jusqu’en 1943. Le premier prix Nobel de la paix à avoir été décerné durant la Seconde guerre mondiale est allé au Comité international de la Croix-Rouge pour son action, en 1944.

Autre détail marquant : Staline et Mussolini ont, eux aussi, été proposés pour le prix Nobel de la paix alors que d’autres ont été totalement oubliés. Gandhi, par exemple, a été nommé à cinq reprises, entre 1937 et 1948 et n’a jamais obtenu le Nobel. Lorsqu’il a été assassiné le 30 janvier 1948, le comité Nobel norvégien a décidé de n’honorer aucun candidat cette année-là, jugeant qu’aucun candidat vivant n’était approprié et que l’assassinat de Gandhi justifiait de ne pas le donner.

L’histoire retient qu’il vaut mieux ne pas faire n’importe quoi avec les nominations au prix Nobel de la paix. La lettre de Brandt a été largement médiatisée et aujourd’hui, le nom d’Adolf Hitler figure dans les archives du prix Nobel de la paix en Norvège.