Ces prix Nobel de la paix qui ont déçu

Aung San Suu Kyi a obtenu un prix Nobel de la paix en 1991 pour son engagement pour la démocratie en Birmanie.
Aung San Suu Kyi a obtenu un prix Nobel de la paix en 1991 pour son engagement pour la démocratie en Birmanie. © YE AUNG THU / AFP
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M.Be. , modifié à
De l'Américain Henry Kissinger en 1973 à la Birmane Aung San Suu Kyi aujourd'hui, certains prix Nobel de la paix ont perdu de leur splendeur depuis leur sacre ultra-médiatisé.

Ils ont nourri d’immenses promesses de paix et ont fini par décevoir aux quatre coins du monde. Certains prix Nobel de la paix ont pâli depuis leur sacre, qu’ils n’aient pas tenu leurs promesses comme Barack Obama, ou qu’ils aient été pris de relents guerriers comme Shimon Peres. À quelques heures de l’attribution du prix Nobel de la paix, Europe1.fr revient sur cinq lauréats qui ont fait polémique.

  • Aung San Suu Kyi (1991)

La femme forte de Birmanie a longtemps été sanctifiée pour son prix Nobel de la paix. Aung San Suu Kyi s’est vue décerner la prestigieuse récompense en 1991 pour sa lutte non violente pour la démocratie, face à la junte militaire au pouvoir. Longtemps assignée à résidence, elle n’a pu recevoir son prix qu’en 2012 à Oslo. La "Dame de Rangoun", désormais ministre et porte-parole de la présidence birmane, déçoit pourtant depuis que la crise des Rohingyas a pris de l’ampleur ces dernières semaines.

Aung San Suu Kyi est en effet vivement critiquée par la communauté internationale pour son inaction dans le sort réservé à cette minorité musulmane apatride de Birmanie, victime d’un "nettoyage ethnique" et de "crime contre l’humanité", selon des ONG, plusieurs dirigeants internationaux et l’ONU. Plus d’un demi-million de Rohingyas ont fui au Bangladesh voisin face à la répression de l’armée birmane, consécutive à des attaques de la rébellion rohingya depuis fin août. Une pétition a été lancée pour réclamer la révocation du Nobel de la dirigeante birmane.

  • Barack Obama (2009)

Neuf mois seulement après avoir été élu président des États-Unis en novembre 2008, Barack Obama a reçu le prix Nobel de la paix pour ses "efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationale entre les peuples". Sa distinction avait été accueillie avec scepticisme à l’époque – Newsweek parlait même du "premier prix Nobel virtuel" -, mais le démocrate américain surfait sur une popularité parfaite et l’"Obamania". Le prix apparaissait alors comme un encouragement à celui qui a promis de sortir les États-Unis des conflits armés en Irak et en Afghanistan.

Huit ans et deux mandats présidentiels plus tard, le premier président noir des États-Unis n’a pas su relever son pari et les bonnes intentions sont restées lettres mortes. Barack Obama avait même envoyé des milliers de soldats supplémentaires juste après l’attribution de son Nobel. Et si l’armée américaine a bien fini par se retirer d’Irak en 2011, ce n’est toujours pas le cas en Afghanistan, où quelque 8.000 GI sont déployés. Barack Obama avait acté ce renoncement en juillet 2016, arguant que la situation restait "dangereuse" et que l’armée afghane devait encore être formée. Son successeur, Donald Trump, a lui exclu tout retrait des troupes et même annoncé l’envoi de soldats supplémentaires en août.

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Le fraîchement élu président américain Barack Obama a reçu son prix Nobel de la Paix en 2009.
©OLIVIER MORIN / AFP

  • L’Union européenne (2012)

L’Europe, un continent en paix depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? La fondation Nobel a octroyé son prix le plus prestigieux à l’Union européenne en 2012 pour "avoir contribué pendant six décennies à l’avancement de la paix et de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l’Homme en Europe". L’UE était notamment récompensée pour avoir "fait passer l’Europe d’un continent de guerre vers un continent de paix", depuis 1945.

Mais c’était oublier un peu vite la guerre en Yougoslavie, qui a provoqué la mort de 300.000 personnes de 1991 à 1999, et condamné à l’exil quatre millions d’autres. "La Croatie, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo (…) ont connu une guerre sanglante et fratricide, mais ils ont également été le théâtre de massacres (dont l’un qualifié de 'génocide' par la justice internationale), de nettoyages ethniques et d’autres horreurs", notait à l’époque un éditorialiste croate, cité par Courrier international. C’était oublier aussi la crise grecque, à laquelle l’UE a opposé une cure d’austérité bien éloignée de la solidarité européenne.

  • Yasser Arafat et Shimon Peres (1994)

Les leaders israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin, et palestinien Yasser Arafat, ont reçu conjointement le prix Nobel de la paix en 1994 pour leur "action politique qui a appelé à un grand courage des deux camps, et qui a ouvert des opportunités pour un nouveau développement vers la fraternité au Moyen-Orient". Cette distinction est intervenue un an après la signature des accords d’Oslo, qui posaient les premiers jalons d’une résolution du conflit israélo-palestinien.

Sauf que l’attribution du prix à Yasser Arafat a conduit un membre du comité à démissionner pour marquer son mécontentement. Le Norvégien Kaare Kristiansen expliquait alors que "le passé de Monsieur Arafat est trop teinté de violence, de terrorisme et de sang" pour en faire un Nobel, et accusait notamment le Palestinien d’avoir financé le terrorisme et armé son peuple, rappelle L'Humanité. Plus tard, Shimon Peres a lui aussi cristallisé les critiques, accusé d’avoir ravivé les tensions entre Israël et Palestine. "Il a eu le Nobel mais il l'a déshonoré", pestait en 2009 un ancien membre du comité, Berge Furre. "Qu'il le rende ou pas n'a pas d'importance, il doit se brûler la main quand il le touche", disait-il au sujet du premier ministre israélien devenu président. Shimon Peres défendait alors ardemment l’opération Plomb durci, qui a fait plus de mille morts dans la bande de Gaza à l’hiver 2008-2009.

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Un an après avoir signé les accords d'Oslo en 1993, Yasser Arafat, Shimon Peres et Yitzhak Rabin ont reçu conjointement le prix Nobel de la paix.
©ERIK JOHANSEN / SCANPIX / AFP

  • Henry Kissinger (1973)

C’est certainement le Nobel le plus polémique de l’histoire des Nobel de la paix. En 1973, Henry Kissinger, secrétaire d’État américain, et Le Duc Tho, leader nord-vietnamien, sont couronnés du prix Nobel de la paix après avoir signé les accords de paix mettant fin à la sanglante guerre du Vietnam, dont l’intervention américain avait officiellement débuté neuf ans plus tôt. Mais le chef de la diplomatie américaine est accusé d’avoir fait escalader le conflit au Vietnam, d’avoir bombardé le Cambodge voisin, et d’avoir été aux manettes lors de l’opération "Condor", une campagne d’assassinats en Amérique du Sud en soutien aux dictatures militaires.

Un membre du comité Nobel a démissionné après l’octroi du Nobel à Henry Kissinger, et Le Duc Tho a préféré décliner le prix. Autant de polémiques qui ont fait renoncer Henry Kissinger à aller chercher sa récompense en Norvège, craignant des manifestations de masse. En 1975, Henry Kissinger propose même de restituer son Nobel mais la fondation refuse : les statuts ne prévoient pas telle situation. De même qu’ils ne permettent pas la révocation d’un prix Nobel.