Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Après la mort du jeune Elias, poignardé dans le 14e arrondissement de Paris par deux délinquants qui voulaient voler son téléphone, la mairie de la capitale a rendu public son “ plan couteaux”, le dernier volet de son «plan de prévention des rixes», déjà lancé depuis 2019.
Il y a urgence. Rien qu’à Paris, pour l’année scolaire 2023-2024, on a dénombré 74 agressions à l’arme blanche dans les collèges, 38 dans les lycées et 18 dans les écoles primaires. Plus de dix agressions au couteau par mois en milieu scolaire. Sidérant.
Et la mairie de Paris a décidé de sortir les grands moyens pour renforcer la sécurité des jeunes et éviter ces agressions au couteau ?
La mairie mise sur la prévention et le dialogue. «L’idée est de dire que porter une arme blanche est dangereux et que c’est interdit d’avoir un couteau dans son cartable», a expliqué sur France l’adjoint à la mairie de Paris chargé de la prévention, de la sécurité et de la police municipale. Le «plan couteaux» prévoit donc l’inévitable hashtag #stopcouteau sur les réseaux sociaux. Ultra-disuasif. Et des interventions d’une centaine de médiateursdans et aux abords des établissements scolaires et des centres sportifs. Ils vont sensibiliser avec un outil imparable... des flyers.
Des flyers?
Oui, des petits tracts rouges qui résument très bien la philosophie naïve - j’allais dire perverse - de cette opération. Ils s’appellent : «Porter un couteau, c’est se mettre en danger, pas se protéger». Pas porter un couteau, c’est risquer de tuer quelqu’un. Non. C’est SE mettre en danger. Attention, tu peux te couper ! On est du niveau de Serge, le lapin rose de la RATP, qui indique qu’on peut se faire pincer les doigts très forts dans les portes du métro. Autant dire que le voyou moyen va illico rendre son cran d’arrêt de peur de s’entailler le majeur.
La philosophie de ces flyers pose un gros problème, selon vous.
Oui. Parce qu’une seule situation concrète y est évoquée, et c’est ahurissant. Si on est confronté à un problème comme du harcèlement ou du racket, il ne faut pas porter un couteau, pour se défendre, ça peut mal tourner. Je traduis : il y a des gens qui ont trouvé fûté, pour ne pas stigmatiser les délinquants, sans doute, de faire porter le discours de prévention des attaques au couteau sur les personnes qui en sont habituellement les victimes. Posez les couteaux, les Bisounours. Ca s’appelle une inversion accusatoire et c’est particulièrement odieux.
Comme si les auteurs d’attaques à l’arme blanche, les terreurs de sortie de collège avec un couteau papillon dans la poche avaient des profils de pauvres gosses racketés qui craqueraient et qui, hypothétiquement, un beau jour, iraient au collège avec un couteau à steak piqué dans la cuisine pour se défendre. Et pas, comme cela a été le cas dans la mort d’Elias, des délinquants récidivistes, connus pour des vols avec violence et avec armes, mais toujours libres d’aller et venir. Et de tuer. Ce déni de la réalité, cet angélisme aussi simplet que malhonnête, cette façon de faire disparaître le problème en le rhabillant d’habits de premier communiant est insultant. Pour la mémoire d’Elias, qui n’a jamais porté de couteau, pour ses parents qui le pleurent, et pour notre intelligence collective.