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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

C’est passé inaperçu, ce qui est rare quand il s’agit de Tintin. Les éditions Moulinsart et Casterman ont sorti en novembre un coffret contenant trois aventures colorisées de Tintin colorisée. Tintin au pays des Soviets, Tintin en Amérique et surtout, Tintin au Congo, dans sa version originale, mais contextualisée.

Tintin au Congo est loin d’être la plus solide des aventures de Tintin, mais c’est la plus polémique, nimbée d’un parfum persistant de racisme et de colonialisme. Cette réédition de 2023 est importante : elle reprend la version initiale de Tintin au Congo, celle de parue en feuilleton en 1930-1931 dans Le Petit Vingtième. Sans les corrections tardives de 1946 ou des années 60. Elle contient des cases à l'état brut, telle qu’on ne les tolère plus :  Tintin enseigne à un groupe d’enfants Congolais “ votre patrie la Belgique”, leçon remplacée plus tard par un cours de mathématiques.
Ensuite, et c'est le plus intéressant, Tintin au Congo a été assortie d’une préface pour le remettre ans son contexte.

Qu’est -ce qu’elle dit cette préface ?

Elle rappelle le moment de la parution :  l’emprise coloniale de la Belgique sur le Congo, qui a duré de 1908 à 1960. Elle explique aussi la façon dont Hergé a travaillé, ce qui lui vaut aujourd’hui des accusations de racisme, pour le trait caricatural qu’il applique aux personnages Noirs... L’auteur de la préface, un spécialiste de Tintin,détaille les sources utilisées par Hergé, qui ne s’est pas rendu au Congo. Des récits, des images, qui circulaient dans les milieux catholique, conservateurs et préfascistes de la Belgique des années 30. Hergé n’a jamais été réputé pour être particulièrement progressiste, clairement, il n’y a aucun recul dans Tintin au Congo, alors qu’il y en avait dans certains milieux intellectuels belges. Ca lui passe des km au-dessus de la tête.

Hergé reconnaissait-lui-même que  Tintin au Congo n’avait pas très bien vieilli.

Oui, sur le tard.... En 1975, il avait expliqué à un journaliste avoir dessiné «les Africains,  dans le plus pur esprit paternaliste de l’époque ». Ce qui n’est pas totalement honnête, puisque dans les années 60, alors que son éditeur rechignait à republier l’ouvrage, devenu illisible dans le contexte de décolonisation, Hergé lui avait tordu le bras pour qu’il soit réimprimé. Concession à l’époque : « nègre » avait été remplacé par « noir » dans les textes. Mais à part ça, l’heure n’était pas à la remise en question.

Une façon intéressante d’aborder les choses, que cette préface.

Oui : c’est une alternative intelligente au déboulonnage woke. Une façon de dire clairement que ce qui était acceptable autrefois ne l’est plus, sans pour autant le faire disparaître de l’histoire ou du raisonnement politico-historique.

En Belgique, l’histoire de la colonisation ne passe pas, le ressentiment structure encore la vie politique. Les statues du roi Léopold II, artisan de la colonisation sont régulièrement dégradées. Tintin, c’est un autre pan de l’histoire culturelle de la Belgique, teinté de colonialisme. Choisir de le donner à lire dans ce qu’il peut avoir de choquant mais en le replaçant dans une époque révolue, c’est un choix fédérateur, lucide mais sans repentance exagérée. Une façon factuelle d’acter le changement d’époque, plus constructive que les délires d’effacement et d’autodafé.