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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

Les agriculteurs multiplient les blocages ces derniers jours. Et à leur chevet, il y a quasiment toute la France, tout le monde aime les agriculteurs.

Oui, surtout ceux qui, le reste du temps, les accusent de tous les maux. Il faut entendre le concert des écologistes, des Insoumis. Tous ont des solutions magiques pour sauver les agriculteurs malgré eux : revenus garantis, salaires minimums, prix fixés par l’Etat. Tout ça, en les considérant comme des victimes du système. On est loin, là, de revendications d’une profession très bien formée, qui a soif d’indépendance, qui aimerait vivre de son travail.

Comment ce grand cri d’amour est–il perçu par les agriculteurs ?

Fraîchement. lls ne sont pas rancuniers, mais ils n’oublient pas qu’ils sont généralement traités de pollueurs de sols, d’empoisonneurs de pommes, d’accapareurs d’eau, de tortionnaires du bétail, de tueurs d’abeilles, de suppôts de l’agrobusiness. Ils n’en peuvent plus qu’on leur explique à longueur de journée comment travailler.

Les insoumis et les écologistes n’aiment pas les agriculteurs ?

Ils les adorent. Mais c’est ce qu’on appelle l’amour vache, qui fait mal. En fait la gauche écologiste aime les agriculteurs qui ont la gentillesse de rentrer dans les cases. Déjà, l’agriculteur aimable fait du bio. Ca fait 60 000 gentils agriculteurs. Les 430 000 autres font de l’agriculture chimique. Ensuite, l’agriculteur doit être petit. Qu’il ne s’avise pas de dépasser les 47 vaches laitières, la moyenne française, sans quoi, il n’est plus paysan, il est industriel du bétail.  Dans tous les cas, l’éleveur, n’est pas le chouchou des écologistes. Il pollue, il utilise trop de terre et d’eau. On le tolère quand il vend en circuit court. Attention, il ne construit pas de poulailler trop près de la maison de campagne.

Il vaut mieux qu’il fasse des céréales.

Les céréales c’est un truc d’agroindustriels richissimes. On peut peut-être sauver les 4% de producteurs qui font du blé bio. Mais à condition que ce soit du blé ancien à petit rendement, fauché à la serpe. Le bon agriculteur selon les écologistes a lu un opuscule paru en 2021, qui s’appelait Reprendre la terre aux machines. Il dit non au tracteur, au robot, à l’agriculture connectée. Il fait tout à la main. Evidemment, il n’irrigue pas.

Ça ne laisse pas beaucoup d’agriculteurs à aimer.

L’idéal c’est le maraîcher bio A condition qu’il produise des légumes oubliés en biodynamie.

Cela dit, l’extrême droite aussi veut tenir la main des agriculteurs.

Une autre sorte d’amour toxique. Elle leur explique qu’ils doivent se rencogner, arrêter les échanges avec les voisins, détester l’Europe. Elle est peut-être pleine de défauts, mais elle est le premier client des agriculteurs français.  Pour le RN et Reconquête, les agriculteurs font partie d’un musée folklorique, on n’attend pas d’eux qu’ils évoluent. Ce n’est pas là qu’ils trouveront un appui pour envisager des transitions ambitieuses

Personne n’aime sincèrement les agriculteurs, alors ?

Nous pouvons tous les aimer. Avoir confiance dans l’agriculture la plus durable au monde. Mais comme il n’y a pas d’amour, mais seulement des preuves d’amour, on peut leur foutre la paix, acheter leur produit et avoir conscience de leur valeur plutôt que de les dénigrer.