Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Elle aura eu un destin météoritique : l'Intelligence artificielle franco-française Lucie, lancée publiquement jeudi en phase de test, a été déconnectée ce samedi, parce qu'elle racontait énormément d'âneries.
Une intelligence artificielle incapable de réaliser des calculs simples en respectant les priorités opératoires (parenthèses). Mais une IA apte à disserter sur les bienfaits comparés des rembourrages d'oreillers en plumes de thon ou de sardine, d'éclairer le lecteur sur les apports du philosophe Hérodote, mort en 425 av JC, à la bombe atomique. Les premiers utilisateurs de Lucie, l'IA Franco-française en ont lu des vertes et des pas mûres. On s'est beaucoup gaussé sur les réseaux sociaux. Avant qu’elle soit débranchée. Elle reviendra quand elle sera au point promettent ses développeurs.
Qu'est-ce que c'est que cette intelligence artificielle Lucie ?
Un programme développé par la société Linagora, spécialiste du logiciel libre, en collaboration avec le CNRS. Avec des moyens publics, comme l'utilisation d'un super calculateur Jean Zay. Tout cela avec le soutien de l’Etat, dans le cadre d'un appel à projet de France 2030, pour reconquérir une souveraineté numérique.
Son objectif est de devenir une IA comparable à ChatGPT ou Grok. Mais astuce: Lucie se veut conforme aux règles de l’UE, souveraine, française, ouverte... Ce qui est supposé éviter les biais dans sa façon de réfléchir. Le meilleur des deux mondes, l’innovation américaine, la sagesse européenne autoproclamée. Sur le papier...
Mais ça n'a pas fonctionné comme prévu.
Pour quelque raison que ce soit, l’insuffisance des sources en accès libre, le nombre trop faible de testeurs ou, selon les dirigeants de Linagora, le fait qu’elle fonctionne à ce stade "avec des réglages minimaux" et sans "garde-fous". Bon. Ca n’empêche pas de faire des calculs, mais soit. Toujours est-il que l'effet comique est grand. Le nom choisi, Lucie, renvoie, explique doctement l’entreprise, au personnage de Luc Besson qui maîtrise tout le savoir de l'humanité. C’est un outil qui se veut "transparent et fiable pour être un modèle sur lequel vous pouvez compter dans l'éducation, le gouvernement ou la recherche". Bon. Nous sommes appelés à laisser “du calme et du temps” au produit, qui sera testé de nouveau quand il sera un peu plus prêt. J’ajouterai un peu plus humble.
Ce n’est pas un échec, mais ça n’a pas marché, comme on dit. Il faut replacer l’affaire dans un cadre plus grand, celui des prétentions de l’Europe de vouloir donner des leçons à la planète entière;
Oui, l’Europe pétrie de trouille multiplie les réglementations, les limitations. Si bien qu’Apple, par exemple, y a retardé le déploiement de son intelligence artificielle. Mais dans le même temps, l’état d’esprit ceinture-bretelle du continent a empêché la naissance de toutes innovations technologiques massives, nous laissant totalement à la traîne. Mais pas moins arrogants. Cette affaire Lucie, c’est une petite métaphore de tout ça. C'est super, d'avoir des principes. Super de se revendiquer plus vertueux, plus éthique, plus moral, plus transparent que le reste de la planète. Mais avant de la regarder de haut, il faut savoir ce qu'on est capable soi-même de produire au-delà des discours arrogants. Sinon, la seule chose que nous aurons, c’est la tiers-mondisation technologique. Et le ridicule.