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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

Une histoire racontée par le quotidien britannique Guardian, celle de la start-up groenlandaise Arctic Ice et de son business plan surprenant. Une histoire qui jette un froid.

Savez-vous quelle distance sépare Nuuk, la capitale du Groenland et Dubaï?  8276 km à vol d’oiseau. le double par la mer. C’est ce chemin interminable que la startup Arctic Ice fait parcourir en cargo à des blocs de glace. Ils sont péchés dans un fjord, transportés réfrigérés et revendus aux Emirats arabes Unis pour devenir glaçons dans des cocktails de luxe. Un  bien triste destin pour une glace millénaire.

Ça ressemble à de la fiction cette histoire. Quel est l’intérêt de transporter de la glace tout autour de la planète ?

Le fondateur Malik Vahl Rasmussen, un jeune groenlandais, vante une glace exceptionnelle, une glace glaciaire, si on peut dire. Elle a près de 100 000 ans, et est issue de parties des calottes glaciaires n’ont ni été en contact avec un sol ni contaminées par des polluants produits par les activités humaines. De la glace plus pure que pure, dépourvue de bulles. Qui est même supposée fondre plus lentement que la glace ordinaire. A Dubaï, où les fortunes du pétrole ne savent plus comment dépenser leurs dollars, ce luxe extravagant est le dernier frisson. La start up a été lancée en 2022, elle a vendu une vingtaine de tonnes de glace ces derniers mois.

Le bilan carbone de cette glace fait froid dans le dos.

Une glace pêchée avec un bateau grue, transportée au port de Nuuk, chargée dans un porte container, transporté jusqu'au Danemark puis rechargée sur un autre navire qui l'emmène à Dubaï. On peine vraiment à croire le fondateur qui explique participer à la transition écologique de son pays en utilisant des containers qui, sans cela, quitteraient le Groenland vide. Une sorte de rationalisation à faible intensité carbone, selon lui. Pour le reste, c’est loin d’être ça, mais la société prétend qu’elle sera neutre en carbone à terme. Peut-être. Mais ça reste une débauche démente pour de la glace. Et ça rentre en collision avec les images de fonte glaciaire, qui incarnent le réchauffement climatique.

Derrière ça, il y a quand même un aspect géopolitique intéressant.

Parce que si écologiquement on peut s’insurger de ce transport de glace, on peut aussi y voir une tentative de décolonisation.

Le Groenland, c’est une ancienne colonie danoise, doté d’une autonomie politique depuis 1979, mais qui appartient toujours à la couronne du Danemark et qui est toujours sous dépendance économique. Ça créé des frictions récurrentes.

Selon Rasmussen, Arctic Ice est aussi une façon de créer de nouvelles sources de revenus pour le Groenland, pour gagner une indépendance. « Au Groenland, nous gagnons tout notre argent grâce au poisson et au tourisme » dit le fondateur. Maintenant il y a la glace, qui couvre   85% de son territoire. C’est une chose si centrale qu’il y a pas moins de 50 mots pour la désigner en inuktikut, la langue du Groenland.