Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
C’était la dernière sucrerie familiale de France. La sucrerie Ouvré Fils, de Souppes-sur-Loing, en Seine-et Marne, va fermer.
Elle avait un siècle et demi d’existence, elle était passée dans les mains de six générations successives de sucriers. Elle a accumulé les soucis techniques. Le coût pour remettre les installations à niveau est prohibitif, les banques ne vont pas suivre. La fermeture laisse 109 salariés et 300 planteurs de betteraves sur le carreau.
Si elle ferme, c’est aussi parce que le secteur est en difficultés et qu’il a du mal à trouver de l’argent. Il a vécu une série noire.
C’est la sixième sucrerie qui ferme en France depuis 2019. Nous avons perdu en cinq ans... Un quart de notre capacité industrielle. Je ne sais pas si on se rend bien compte, c’est massif, alors que la France est le premier producteur européen de sucre. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que quand une sucrerie ferme, les autres ne peuvent pas forcément prendre le relai et produire plus. Les betteraves sont transformées au plus près, parce que c’est cher de les transporter. Une sucrerie qui ferme, c’est tout un pan de l’économie locale en rideau, des cultures qui disparaissent. Et une part de la richesse nationale qui disparaît.
C’est une succession de crises qui lamine notre secteur sucrier.
Des crises nées de décisions politiques mal gérées. Il a connu une première crise économique avec la fin des quotas sucriers européens de 2017 et un effondrement du prix du sucre. Ensuite, il y avait eu la crise sanitaire de la jaunisse des betteraves en 2020. La faute au duo Ségolène Royal Barbara Pompili, qui avaient imposé dans la loi l’interdiction franco-française d'un traitement contre les pucerons . On avait perdu entre 30% et 50% de la récolte de betteraves pour des choix politiques irréfléchis, alors même que la filière avait alerté du danger. Quatre sucreries fermées à cause de ça. Et pour ne rien arranger, il y a un afflux massif de sucre ukrainien sur le marché européen depuis le début de la guerre. Les prix ont été divisé par deux depuis fin 2023.
Est-ce que c’est si grave, de produire moins de sucre ? On en mange trop.
Il faut tordre le cou aux idées reçues. Le sucre, ce n’est pas seulement des bonbons et du soda. Il a d’autres usages cruciaux pour la souveraineté française : en pharmacie et en chimie (10% des volumes), pour la production d’alcools et de carburants à base d’éthanol, ça, c’est 20% des usages. Et c’est crucial quand on veut décarboner les transports. Vous ne le savez peut-être pas, mais votre essence contient de l’éthanol de betterave, ça contribue à faire baisser la facture fossile de la France. Alors, oui, c’est à la mode de dire que le sucre, c’est une industrie dispensable. C’est idiot.
Arrêter la production de sucre en France, ça ne fera pas baisser les usages. Ca fera simplement augmenter les importations. L’alternative disponible, c’est du sucre d’Amérique du sud, du sucre de canne qui aggrave la déforestation, qui est produit dans des conditions environnementales infiniment plus sales que les nôtres. Toujours tirer jusqu’au bout le fil des conséquences de nos renoncements.