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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

Un voyage entre alimentation et science-fiction... Sacré coup de pub à la Jurassic Park que s’est offert il y a deux jours au Pays-Bas la jeune entreprise australienne Vow, spécialisée dans la viande artificielle

Qui va vous mettre en appétit pour la journée. Cette start-up qui a trois ans et demi et qui se définit “ comme une marque alimentaire expérimentale à l’intersection de la nourriture, de la science et de la culture” a  présenté l’innovation qui tue tout (ou plutôt qui ne tue rien du tout) en matière de viande cellulaire.

Une boule de viande de mammouth laineux, un animal éteint il y a un peu plus de 4.000 ans.

C’est une blague ?

Pas du tout. On peine à définir la chose, Présenté sous une cloche comme dans top chef. Une boule de la taille d’un petit ballon de hand, la couleur et la texture d’un steak haché bien cuit. Pas très appétissante, et d’ailleurs pas destiné à la consommation, même si les créateurs de la chose lui trouvent un goût de crocodile.

Tout l’intérêt (intellectuel) de cette grosse boulette est qu’elle a été cultivée en laboratoire, dans ce qui ressemble vraiment à un scénario de sciences fiction. Jurassic Park revisité par le Tricatel de l’aile ou la cuisse.  On s'est servi de matériel génétique récupéré sur un mammouth, une protéine spécifique du muscle appelée myoglobine, complétée par des séquences d’ADN d’éléphant, insérés dans des cellules de mouton et mise à mijoter. “Ridiculement facile et rapide”, commente l’équipe, deux semaines pour faire pousser les 20 milliards de cellule de la boule de viande. 

On trouvera le frankenbifteck de mammouth au restaurant ?

Il y aurait pas mal d’obstacles réglementaires pour faire agréer par les autorités sanitaires une viande venue du fond des âges, je ne suis même pas certaine qu’une telle chose soit prévue. Pas sûr qu’on soit d’ailleurs capables de la digérer.  L’Europe ne devrait certainement pas être pionnière.  Mais Vow qui a des capacités de production importantes, beaucoup d’argent, a un autre produit dans sa manche, un produit à base de caille artificielle qui lui, devrait être vite commercialisé au Japon.

Quel est l’intérêt  d’une telle cuisine ? Ca fait quand même apprenti sorcier...

Dans un premier temps, tester les technologies. Tout ça sert à démontrer qu’un des points critiques de la production de viande cellulaire, c’est à dire le fait d’avoir besoin d’un animal mort, généralement un veau, comme source, peut-être contournée.

Le grand rêve de l’industrie florissante de la viande artificielle, c’est aussi de faire de la viande plus vraie que nature, sans les inconvénients de l’ élevage aucun et en sauvant la planète.

Nous donner bonne conscience. Question marketing, choisir la vainde de mammouth, animal mort d’un changement climatique, c'est bien vu. La première idée de Vow, c’était de reconstituer de la viande de dodo, gros volatile australien lui aussi disparu, mais l’ADN manquait. Je crois quand même que tout n’est pas aussi simple que remplacer une forme de viande par une autre. La nourriture, ce n’est pas juste des nutriments, c’est aussi du symbole, de la culture qu’on ingère.

Mais quand même, c’est inconfortable, cette pensée, de viande d’animal disparu. On est dans une zone étrange, entre l’alimentation, le fantasme qui se mange, la répulsion, la curiosité. Si manger de la vraie viande pose des questions éthiques, que dire du fait de manger de la viande d’un animal disparu dont on a jamais vu un spécimen vivant. C’est rompre le lien direct qui n’a jamais été rompu entre le vivant, animal ou végétal, et ce que nous ingérons.  Questions très personnelle. Intime. Emmanuel Ducros n'a aucun problème avec les OGM. Mais là, elle trouve ça philosophiquement abyssal.