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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

La France pourra-t-elle continuer à exporter ses céréales vers l’Afrique et le bassin méditerranéen après le 25 avril ? Cela paraît incroyable, mais des cargaisons entières sont menacées de rester au port.

Tout est parti d’une décision de l’Anses, l’agence de sécurité sanitaire française, en octobre dernier. Elle a décidé d’interdire une technique de fumigation des céréales dans les cales de bateaux, avec un produit appelé phosphine. Il sert à détruire insectes et larves, mais il entre en contact avec les céréales et peut présenter des risques en cas d’inhalation.  L’anses veut bannir cette technique, dès le 25 avril. Cette décision administrative, prise alors que l’Europe permet, elle, l’usage. Cela peut avoir de lourdes conséquences.

La moitié des exportations françaises de céréales sont potentiellement compromises.

Celles qui voyagent hors d’Europe, oui, soit en année pleine 11,5 millions de tonnes, 3.8 milliards d’euros pour notre balance commerciale. Ces céréales prennent d’habitude la mer pour l’Algérie, la Tunisie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal. Elles ne pourraient plus y être commercialisées faute de traitement. Ces pays exigent une fumigation. Pour deux raisons : d’abord, éviter que les cargaisons ne transportent des insectes potentiellement invasifs pour les écosystèmes de destination. Ensuite, parce que consommer des grains contaminés par des insectes présente des risques.

Pour l’Algérie, premier client de la France en blé, la fumigation à la phosphine est inscrite dans le cahier des charges établi par le Gouvernement qui achète les céréales. Pas de fumigation au départ, pas de débarquement.

De bout en bout, c’est ubuesque.

Des pays qui ont besoin des céréales françaises pour garantir leur sécurité alimentaire ne pourront plus les acheter parce qu’une décision administrative dans le pays fournisseur rend impossible le respect de leurs normes. L’alternative, c’est d’acheter des céréales russes, seul acteur avec des surplus. Dans le contexte géopolitique, c’est délirant.

Les alternatives logistiques paraissent elles aussi délirantes.

La solution que pourraient trouver les négociants ce serait de transporter le blé par camions, vers Anvers, port européen, où la fumigation est autorisée, puis de l’expédier aux clients de la France. Ecologiquement, économiquement, ça n’a aucun sens.

Cette affaire pose une question. A-t-on bien fait de donner à l’Anses le pouvoir de prendre seule de telles décisions ?

En 2015, François Hollande, via son ministre de l’Agriculture Stéphane le Foll, tétanisé par des dossiers concernant les pesticides avaient décidé de déléguer tous les choix à l’Anses. Ils s’étaient désengagés, ils voulaient des “ décisions basées sur la science”. Ils  ont en fait laissé des scientifiques, dont ce n’est pas le métier, assumer des décisions qui affectent la souveraineté nationale, des décisions qu’eux, politiques, n’avaient pas le courage de prendre, des décisions qui demandent une évaluation des risques et des bénéfices.

Le politique, piégé, est désormais en train de ramer pour reprendre la main. Les ministres de l’Agriculture et du commerce extérieur ont engagé un bras de fer avec l’Anses, tentant de faire valoir que le droit européen, qui autorise les traitements s’impose face aux décisions réglementaires d’une agence indépendante. On en est là. Impression de pagaille, de fragilité, d’administration toute puissante qui échappe à tout contre-pouvoir. Ce que révèle l’affaire de la phosphine, c’est une vraie question démocratique, c’est une question de philosophie du pouvoir

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