Un virage bio et numérique pour Carrefour

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Carrefour adopte un plan de transformation majeur à horizon 2022. © Thomas SAMSON / AFP
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Après avoir longtemps tardé à se moderniser, Carrefour se réorganise avec un plan pour 2022. Au menu : réduction des coûts, accélération sur le numérique et focus sur le bio.
ON DÉCRYPTE

Les syndicats le redoutaient et Alexandre Bompard a en partie confirmé leurs craintes. Le PDG de Carrefour a dévoilé mardi matin son plan de transformation sur cinq ans pour le géant de la grande distribution, plan qui implique notamment la suppression de 2.400 emplois. Faute d’avoir su prendre les bons virages à temps, Carrefour doit aujourd’hui rattraper son retard. Le projet "Carrefour 2022" doit réorganiser le groupe autour de quelques grands axes : réduire les coûts, repenser la stratégie numérique, miser sur le bio et les commerces de proximité, se renforcer en Chine. Suffisant pour replacer Carrefour dans la course ?

Un géant trop lourd. Avec 12.300 magasins dans le monde et 374.000 collaborateurs, Carrefour, qui était encore en 2001 le numéro 2 mondial du secteur derrière le groupe américain Wal-Mart, occupe désormais la 9ème place, dépassé par Amazon (6ème), selon le baromètre annuel du cabinet Deloitte. Mais c'est en France, qui représente près de la moitié du chiffre d'affaires total du groupe (88,24 milliards d'euros), que Carrefour est le plus exposé. Alors pour ré-accélérer, Carrefour doit maigrir. Le groupe, premier employeur privé en France (115.000 salariés), se sépare donc de 2.400 collaborateurs. Les suppressions de postes vont se faire aux sièges du groupe, qui comptent actuellement 10.500 salariés sur 12 sites. Selon Carrefour, leur taille est "démesurée" par rapport à la concurrence.

"Carrefour, c’est une ruche". Une transformation qui arrive toutefois bien tard. "Carrefour a attendu beaucoup trop longtemps pour se transformer, notamment en ce qui concerne ses coûts de structure (fonctionnement des sièges, des entrepôts…). Carrefour n’est plus dans le match, malheureusement pour les salariés qui vont rester sur le carreau", constate Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution, sur Europe 1. "Quand vous comparez Carrefour et Leclerc, qui sont deux groupes semblables en termes de chiffre d’affaires, vous vous demandez s’ils ont la même taille. Carrefour, c’est une ruche."

Devenir plus agile. Pendant que Carrefour jouait la tortue, Leclerc, Auchan et les autres filaient comme des lièvres. "Le modèle de Leclerc est différent et moins-disant. Sur un même marché, celui qui est le plus léger est mécaniquement le plus agile et court plus vite que les autres. C’est dur à entendre mais Carrefour avait un modèle trop lourd et trop coûteux", analyse Olivier Dauvers. Un retard qui coûte cher aujourd’hui : le groupe vise une réduction des coûts de deux milliards d'euros dès 2020, notamment via des économies sur la logistique et les coûts de structure.

L’activité numérique pèse moins de 2% du chiffre d’affaires de Carrefour

Afin de lâcher un peu de lest, Carrefour va aussi faire passer cinq magasins en location-gérance. "Le magasin n'appartient plus au groupe Carrefour et sort donc de tous les accords sociaux négociés, une gymnastique légale qui permet à Carrefour de faire 20% d'économies sur les frais de personnel", précise à Europe 1 Jean-Marc Robin, délégué syndical central chez Force ouvrière (FO). "Carrefour était avec Auchan un des derniers à ne pas avoir développé le modèle des locations-gérances et des franchises", complète Cyril Boulay, délégué syndical national FO pour Carrefour Proximité.

Un nain sur le numérique. A côté de cette réduction des coûts, Carrefour repart à l’assaut du commerce en ligne. "Carrefour n'a pas suffisamment évolué avec ses clients", a reconnu Alexandre Bompard mardi. "On est tous d’accord pour dire que Carrefour a raté le virage du numérique. Cela fait des années que nous alertons la direction sur ce sujet. On se doutait bien que ce n’est pas en rachetant Rue du Commerce (en 2016, ndlr) qu’on allait s’imposer", déplore Cyril Boulay. "L’activité numérique pèse moins de 2% du chiffre d’affaires de Carrefour, c’est ridicule", abonde Olivier Dauvers. "Vous ne pouvez pas avoir une ambition mondiale avec ces 2%, quand tout le monde a un smartphone dans la poche et pratique le e-commerce."

Carrefour se fixe un objectif de cinq milliards d'euros de chiffre d'affaires dans le commerce en ligne alimentaire et une part de marché supérieure à 20% en France d'ici à 2022. Pour ce faire, il prévoit d'investir 2,8 milliard d'euros sur cinq ans, "soit six fois plus que les investissements actuellement consentis" pour se renforcer dans le numérique. Il lancera en 2018 un site unique en France, Carrefour.fr, qui aura vocation à être développé dans d'autres pays. "L’ambition de Carrefour, c’est que vous pensiez à lui quand vous voulez acheter des produits d’équipement, de la high-tech… C’est loin d’être acquis", souligne Olivier Dauvers.

Champion de la "transition alimentaire". Carrefour est également confronté au désamour des Français pour les hypermarchés. "Faire ses courses pendant deux heures, cela n’intéresse plus personne", résume le spécialiste de la grande distribution. Résultat, "il y a des magasins qui perdent des millions d’euros chaque année". Pourtant, Alexandre Bompard a assuré qu’aucune fermeture d’hyper n’est prévue dans les années à venir. A la place, le PDG mise sur un repositionnement et espère "faire de Carrefour le leader mondial de la transition alimentaire pour tous". Concrètement, Carrefour veut presque quadrupler son chiffre d'affaires dans le bio à cinq milliards d'euros en 2022. 

"Pour que cette ambition se traduise pour nos clients, ça passe par une collaboration extrêmement forte avec le producteur", soutient Alexandre Bompard. "La cible, ce n'est pas les citadins aidés. La démocratisation du bio est essentielle. Nous devons être capable de l'offrir à chacun." Dans cette optique, le groupe veut ouvrir au moins 2.000 magasins de proximité dans les cinq prochaines années, qui "feront apparaître plus puissamment le bio". Carrefour prend donc un virage serré… et risqué.

Les syndicats inquiets, le gouvernement vigilant

Premier syndicat du groupe Carrefour, FO a d'ores et déjà appelé à la grève le 8 février, tandis que le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a prévenu que l'État serait "vigilant sur l'accompagnement de chaque salarié concerné par le plan". Mais il a aussi souligné l’orientation du plan de Carrefour. "Je crois que c'est une bonne décision car le secteur de la grande distribution est confronté à des bouleversements technologiques majeurs et la seule solution c'est d'anticiper ces bouleversements en investissant dans la digitalisation du secteur de la grande distribution", a-t-il déclaré.