Le boom des accidents du travail dans les services à la personne

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SOCIAL - Alors que le nombre d'accidents du travail a tendance à baisser ces dernières années, il est en forte augmentation dans un secteur où les salariés sont particulièrement fragiles.

La multiplication des consignes de sécurité, des campagnes de prévention et des actions de formation ont payé : depuis 70 ans, le nombre d'accidents du travail en France ne cesse de baisser. C'est la conclusion du rapport annuel de l'Assurance maladie, rendu public mardi. De 120 accidents pour 1.000 salariés dans les années 1950, on est passé à 33,9 pour 1.000 en 2015. Dans l'intérim, le BTP ou encore la chimie, trois branches traditionnellement à risques, la baisse est notable.

Pourtant, un secteur fait figure d'exception. Dans les services à la personne, le ratio d'accidents du travail est de 92,7 pour 1.000 en 2015. Soit une hausse de 3,4% en un an. "Cela fait partie des points critiques", reconnaît Pascal Jacquetin, directeur adjoint de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Et les actions de prévention de ces accidents restent encore très limitées.

Chutes, brûlures et intoxication. Si les risques liés aux services à la personne ne paraissent pas évidents au premier abord, ils sont en réalité très nombreux. "Les salariés sont amenés à porter des personnes qui ont perdu leur autonomie sans avoir toujours de matériel médical à disposition", détaille Stéphane Fustec, secrétaire fédéral à la CGT du Commerce et des Services. Cette tâche délicate de manutention peut entraîner des chutes, mais aussi des troubles musculo-squelettiques (TMS) importants. Dans le cas de services de ménage, "ils utilisent les produits d'entretien disponibles chez les particuliers", sans nécessairement avoir de consignes de précaution. Brûlures et intoxications sont alors possibles. Enfin, de nombreux de salariés dans les services à la personne utilisent beaucoup leur véhicule pour se rendre du domicile d'un particulier à un autre et les accidents de la route sont fréquents.

Des salariés isolés. Les spécificités des métiers des services à la personne augmentent les facteurs de risque. Car si certains salariés sont employés par des institutions, comme des hôpitaux ou des maisons de retraite, d'autres interviennent directement au domicile des particuliers. Et cela peut les fragiliser. "Le problème est moins pris en compte pour ces salariés très isolés", confirme Stéphane Fustec. "Ils n'ont pas de visite médicale, font souvent des journées à rallonge ou cumulent plusieurs activités", ce qui augmente la fatigue et, partant, les risques d'accident.

Surtout des femmes plutôt âgées.  En outre, beaucoup n'ont pas conscience d'exercer un métier à risques. Comme l'explique Stéphane Fustec, "on n'a pas du tout la même perception des choses selon qu'on travaille dans le collectif ou seul. Dans ce cas-là, non seulement les salariés prennent moins en compte la pénibilité de leur travail, mais leurs relations professionnelles sont aussi souvent liées à l'affect. Ils s'attachent aux personnes dont ils s'occupent." Et ont donc plus de réticence à s'arrêter de travailler en cas de problèmes de santé. Enfin, le profil des salariés du secteur joue aussi beaucoup. Dans sa plus récente étude sur le sujet, l'Insee a dévoilé que 90% des travailleurs, hors assistantes maternelles, étaient des femmes. Près d'un quart (24%) ont plus de 55 ans. La pénibilité de l'activité est donc d'autant plus fortement ressentie.

" Les salariés n'ont pas de visite médicale, font souvent des journées à rallonge ou cumulent plusieurs activités. "

Sensibilisation. Pour la CGT, il est donc indispensable d'agir, et d'agir le plus vite possible. "La formation est essentielle", souligne Stéphane Fustec, qui réclame aussi un "meilleur suivi médical" pour tous les salariés, y compris ceux qui n'ont pas un employeur unique. Le syndicat a par ailleurs tenté de sensibiliser directement les salariés à la pénibilité de leur emploi, via Internet. Un "serious game", de ces logiciels qui proposent un contenu sérieux sous forme ludique, a été lancé pour simuler leurs conditions de travail et leur dispenser des conseils aisément applicables, mais qui permettent d'éviter de prendre bien des risques. "Beaucoup d'accidents sont aisément évitables", confirme Pascal Jacquetin. "La CNAM a des recommandations de bonnes pratiques. Une sensibilisation permet aux travailleurs de mieux penser à leurs gestes avant de les faire." S'informer sur les produits d'entretien ou connaître la bonne position à prendre avant de manipuler une personne alitée, par exemple, peut limiter la pénibilité du métier.

Un secteur qui recrute énormément. La CNAM a d'ailleurs décidé de faire de la sensibilisation aux accidents du travail dans les services à la personne une priorité. "Il n'y a pas de programme national de prévention", explique Hervé Laubertie, responsable risques professionnels. En revanche, la quasi-totalité des caisses régionales ont mis quelque chose en place." Auprès des structures, notamment les EHPAD, pour lesquels des formations sont proposés, ainsi que des aides financières pour acquérir du matériel qui rendent le travail moins pénible aux salariés. Mais aussi auprès des employeurs de travailleurs qui exercent à domicile. Dans ces cas-là, "il est plus délicat d'intervenir", reconnaît Hervé Laubertie. "On ne peut pas se rendre chez tous les particuliers qui emploient quelqu'un." Des outils d'information sur Internet ainsi que des kits pour aider à la manutention sont néanmoins disponibles.

"C'est toute la difficulté avec les services à la personne", résume Stéphane Fustec. "Le secteur est très bigarré, avec des salariés, des conditions de travail et des conventions collectives qui diffèrent." Pourtant, l'enjeu est énorme. Toutes les enquêtes menées sur l'emploi en France, notamment la fameuse "BMO" (Besoin main d'œuvre) de Pôle emploi publiée tous les ans, montrent qu'il s'agit de métiers dits "en tension", où les postes à pourvoir sont de plus en plus nombreux.