François Chérèque, entre "douceur et impétuosité"

François Chérèque
François Chérèque s'est éteint lundi à l'âge de 60 ans, "à la suite d'une longue maladie", ont annoncé ses proches. © MARTIN BUREAU / AFP
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PORTRAIT - Celui qui dirigea la CFDT pendant 10 ans s’est éteint lundi, à l’âge de 60 ans. 

"Nous avons fait le choix du réformisme, nous le revendiquons avec fierté". Par ces mots, prononcés en novembre 2012 lors de sa passation de pouvoir à Laurent Berger, François Chérèque résumait son bilan à la tête de la CFDT. Le "réformisme", il en a fait son cheval de bataille tout au long de sa carrière, quitte à s’isoler au sein du paysage syndical français et à froisser sa propre base. François Chérèque est mort lundi à l’âge de 60 ans, des suites d’une longue maladie. Portrait d’un syndicaliste, fils de syndicaliste, qui a consacré l’essentiel de son action à adapter la défense du salariat à la société mondialisée.

François Chérèque est né le 1er juin 1956 à Nancy, en Meurthe-et-Moselle. Educateur spécialisé dans un service de pédopsychiatrie, ce "lycéen et rugbyman de Sarcelles, où la famille s'est installée au début des années 70, ne rêvait que d'une carrière consacrée aux enfants en difficulté", racontent les journalistes-réalisateurs Marie-ève Chamard et Philippe Kieffer dans un film portrait diffusé en 2010 sur LCP. Mais son désir de solidarité, c’est au sein de la CFDT que François Chérèque va finalement le mettre en pratique. De la CFDT, François Chérèque est un enfant au sens figuré, mais presque aussi au sens propre. Son père, Jacques, en fut en effet l’un des principaux dirigeants dans les années 70/80. François, lui, adhère à la confédération en 1978, à l’âge de 22 ans. Et il en gravira tous les échelons un à un, jusqu’à en devenir le secrétaire générale de 2002 à 2012.

"Traître, collabos". Pendant 10 ans, le leader de la CFDT réussira à faire émerger une nouvelle forme de syndicalisme : un syndicalisme "réformiste", qui ne se contente pas de défendre les acquis, qui se bat pour faire avancer les droits des salariés et obtenir des nouvelles garanties, quitte à en abandonner des anciennes. Ses coups de sang ont rythmé pendant une décennie la vie politique et syndicale : il ne mâche pas ses mots quand il accuse par exemple Nicolas Sarkozy de "manipulation de l'opinion" et de "démagogie populiste" lorsque l'ex-président s'en prend aux syndicats lors de la campagne présidentielle de 2012.

Il fut, dans le même temps, régulièrement courtisé par tous les gouvernements, de droite ou de gauche, qui voient en lui un acteur loyal pour accompagner les réformes. Et ce penchant pour le compromis n'a pas toujours été apprécié. Celui qui se disait "réformiste mais impatient" - le titre de son livre publié en 2005 - a été souvent critiqué pour sa "volonté de signer" des accords avec le patronat et les différents gouvernements. Sa défense d’une modification de la loi sur les 35 heures en 2002, son soutien à la réforme des retraites portée par François Fillon en 2003, sa prise de position en faveur d’une réforme des régimes spéciaux en 2007 ou encore d’une réforme de la représentativité en 2007 lui ont d’ailleurs valu d'être régulièrement accusé de "traître", voire de "collabo".

Même s'il a dit n'avoir "aucun regret", l'accord passé avec le gouvernement Raffarin lors de la réforme des retraites en 2003 plongera la CFDT dans une crise qui durera plusieurs années. Cette crise et les départs massifs de militants "l'ont beaucoup marqué. Il a compris que la confiance des militants est très importante. Il s'est mis à leur écoute", soulignait en 2012 Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Ires, cité par l’AFP.

" François Chérèque, c'est un tempérament. A la fois doux et impétueux "

"Compréhensif et combatif". Mais si ses prises de position ont pu quelque fois l’isoler au sein du paysage syndical français, François Chérèque apparaît aussi comme celui qui a réussi à maintenir un front syndical commun face la réforme des retraites de 2010. CGT, FO et CFDT étaient descendues ensemble dans les rues, ce qui ne s’était pas produit depuis de nombreuses années. Et depuis son départ en 2012, les relations entre les principales centrales syndicales françaises n’ont jamais réussi à renouer de tels liens. Malgré la stagnation du nombre d’adhérents, François Chérèque aura en outre réussi à maintenir la CFDT comme première force syndicale en termes de nombre d’adhérents (plus de 800.000).

Décrit comme "autoritaire" au sein de sa direction y compris par certains de ceux qui partagent ses orientations, l'homme n'en a pas moins été apprécié des militants. En novembre 2012, lorsqu'il passe les pouvoirs à 56 ans à son dauphin Laurent Berger, avant la fin de son mandat, un millier de délégués lui ont rendu un hommage chaleureux, appuyé d’applaudissements nourris.

"François Chérèque, c'est un tempérament. A la fois doux et impétueux, il a su être compréhensif et combatif. Il incarne à merveille le militantisme qui défend les salariés jusqu'au conflit tout en privilégiant la négociation", résumait en 2012 le ministre du Travail Michel Sapin.

"Pas une image d'indépendance syndicale". En 2012, François Chérèque prend la présidence de Terra Nova, centre de réflexion proche du PS et rejoint l'Inspection générale des affaires sociales, chargé du suivi du plan gouvernemental sur la pauvreté. Cette reconversion alimente l'image d'un syndicat proche du pouvoir socialiste. Le patron de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, l'étrille alors en ces termes : cela ne "donne pas une image d'indépendance syndicale".

En janvier 2014, l'ancien syndicaliste, qui disait vouloir "servir l'intérêt général", prend la présidence de l'Agence du service civique, et il est nommé Haut-commissaire à l'engagement civique en avril 2016. Il avait suspendu ses activités en septembre 2015 pour suivre un traitement de chimiothérapie, et quitté ses fonctions en juin 2016 pour "raisons de santé".

"Parti trop tôt". "François est et restera une très grande figure de notre organisation", salue aujourd'hui la CFDT dans un communiqué. "La CFDT perd une grande figure, le syndicalisme français perd une grande figure qui a fait de la lutte syndicale un engagement personnel", a pour sa part déclaré Laurent Berger, son successeur à la tête de la CFDT. Et d’ajouter : "J'espère que tout le monde reconnaîtra son engagement. Je ressens un grand sentiment d'injustice, car il est parti trop tôt".