Avec la surtaxation des CDD, El Khomri peut-elle faire bouger les lignes ?

Myriam Khomri a promis de prendre en compte les critiques des syndicats pour améliorer son texte.
Myriam Khomri a promis de prendre en compte les critiques des syndicats pour améliorer son texte. © ALAIN JOCARD / AFP
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EMPLOI - Myriam El Khomri a déclaré jeudi que la surtaxation des CDD demandée par les syndicats était "posée sur la table". L'idée ? Favoriser les CDI en pénalisant les contrats précaires.

Quelque peu dans l'impasse avec son projet de loi Travail, Myriam Khomri a promis de prendre en compte les critiques des syndicats pour améliorer son texte. La ministre a également sorti de son chapeau une autre proposition chère aux syndicats : la surtaxation des CDD. Cette piste est "posée sur la table", a-t-elle assuré jeudi matin. Les entreprises qui abusent des contrats courts pourraient donc devoir cotiser davantage que celles qui recourent majoritairement aux CDI. Sauf que dans la réalité, c’est déjà le cas, mais que ce dispositif n’a eu aucun effet car il a été mal calibré dès son origine. Les économistes en sont pourtant persuadés : le principe de pollueur-payeur est l’une des principales pistes à explorer pour assurer l’avenir de notre système d’Assurance-chômage.

• Pourquoi se préoccuper de la question des CDD ?
Les contrats courts sont désormais au cœur du marché de l’emploi. Alors qu’ils représentaient 67% des nouvelles embauches en 2001, leur part est passée à 86% en 2014 et elle ne cesse de progresser, selon les chiffres du ministère du Travail.

Non seulement les contrats courts sont devenus les plus fréquents, mais ils sont également de plus en plus courts. Entre 1980 et 2011, la durée moyenne d’un CDD a été divisée par trois pour atteindre cinq semaines, selon un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE). Si bien que le nombre de CDD de moins d'un mois a bondi de 146% en quatorze ans. De même, la durée moyenne d’un contrat en intérim est passée sur la même période d’un peu plus d’un mois à un peu moins de deux semaines. Le tout est conjugué à un autre effet pervers : "en 2011, plus de 70% des embauches en CDD sont des réembauches chez un ancien employeur".

• En quoi l’essor des CDD pose-t-il problème ?
Pour l’employeur, l’intérêt de privilégier les contrats courts est évident : cela permet de ne pas s’engager sur le long terme, tout en ayant sous la main des travailleurs prêts à revenir ponctuellement, puisque l’Assurance chômage peut les financer le reste du temps. "Nombre d’entreprises ont adapté leur gestion de la main d’œuvre pour exploiter au mieux les avantages offerts par l’Assurance chômage" : les entreprises cumulent les avantages mais transfèrent les inconvénients à l’Assurance chômage, et donc aux autres entreprises et travailleurs, pointe le CAE.

Pour les employés, ces contrats courts sont la plupart du temps une contrainte : la majorité souhaiterait travailler en CDI à plein temps. Mais paradoxalement, le système d’Assurance chômage est conçu de telle manière qu’il incite les travailleurs précaires à rester dans le statu quo, notamment grâce aux règles actuelles permettant de cumuler revenu d’activité et allocations chômage. Pour un même salaire mensuel, un salarié bénéficie d'une allocation deux fois supérieure s'il travaille à temps plein pendant 15 jours plutôt que s'il est à mi-temps pendant tout le mois. Résultat, ces entreprises et ces travailleurs cotisent "en courant alternatif" et coûtent plus qu’ils ne rapportent au système d’Assurance-chômage, tandis que les entreprises vertueuses qui privilégient les CDI cotisent plus que la moyenne alors qu’elles "fabriquent" moins de chômeurs.

10.03.Bandeau pole emploi chomage.ALAIN LEMASSON  AFP.600.150

• Que changerait l’instauration d’un bonus-malus ?
Puisque le système actuel est plus favorable aux entreprises indélicates qu’à celles qui jouent le jeu, l’idée est d’inverser la logique et passer au principe de pollueur-payeur. D’où les appels répétés de plusieurs syndicats, associations et collectifs de chercheurs à instaurer un système de bonus-malus sur les cotisations patronales.

Dans une tribune publiée le 18 février dans Le Monde, un collectif d’économistes propose ainsi  d'"instituer une modulation de la cotisation chômage employeur en fonction du coût réel mis à la charge de l'Assurance chômage". L’idée serait de rendre dégressive la cotisation Assurance chômage employeur : plus le contrat serait court, plus le niveau de cotisation serait élevé. Inversement, plus une entreprise conserverait un employé longtemps, moins les cotisations seraient élevées.

• D’autres pays ont-ils déjà testé ce bonus-malus ?
Si l’Espagne a adopté un tel système fin 2012, d’autres s’y sont mis bien avant. Ainsi, les Etats-Unis appliquent un système similaire baptisé "Experience rating" depuis les années 1930 : plus une entreprise licencie, plus son taux de cotisation chômage augmente. Et d’après les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole, auteur d’un rapport sur le sujet  en 2003, le bilan est positif.

"Les taxes de licenciement représentent pour nous l’instrument essentiel de responsabilisation financière des entreprises", soulignent-ils. Et ces derniers de détailler : "toutes les études indiquent que les effets de la modulation vont dans le ‘bon sens’, c’est-à-dire qu’elle réduit le niveau du chômage, sa sensibilité au cycle économique et aux saisonnalités, qu’elle est favorable à l’augmentation de l’emploi et en particulier à l’embauche des salariés dans les entreprises qui stabilisent leur main d’œuvre".

09.03.Bandeau Khomri Valls  Macron.DOMINIQUE FAGET  AFP.600.150

• Mais la France a pourtant déjà adopté cet outil ?
En effet, depuis 2013 le taux de cotisation pour l’employeur est plus élevé pour les contrats courts : alors qu’il est de 4% pour un CDI, il passe à 4,5% pour les CDD d’usage, 5,5% pour les CDD de un à trois mois et 7% pour les CDD de moins d’un mois. Comment expliquer alors que les CDD restent la norme lorsqu’il s’agit d’embaucher ?  

Parce que le bonus-malus actuel est "plutôt modeste", selon les mots de Myriam El Khomri, mais aussi est surtout parce que les exonérations sont trop nombreuses et bénéficient aux secteurs où il y a le plus d’abus : l’intérim et les contrats saisonniers ne sont pas concernés. Quant aux CDD d’usage, très fréquents dans les médias et le spectacle, la surtaxe est trop faible pour être dissuasive. Une mise à jour s’impose donc.

 Qu’en pense le patronat ?
L’instauration d’un tel bonus-malus n’a jamais été du goût de la principale organisation patronale : lors des dernières négociations sur le sujet en 2012, Laurence Parisot dénonçait déjà un dispositif qu’elle jugeait contre-productif. Quatre ans plus tard, le Medef a changé de président mais le discours reste le même : "Il faut arrêter de penser en France que la solution passe par l'augmentation des taxes, des cotisations. Il faut inciter et non pas démotiver, je ne pense pas que ce soit une bonne solution du tout", a-t-il déclaré jeudi. Et le patron des patrons d’ajouter : "si on veut totalement asphyxier l'économie française, taxons les contrats courts", a-t-il renchéri, invitant plutôt à "baisser la fiscalité sur tous les types de contrats".

L’autre argument invoqué par les employeurs pour justifier le recours aux contrats courts a souvent été le suivant : embaucher en CDI est bien plus risqué et coûteux lorsqu’il faut licencier. En facilitant les licenciements et en réduisant leur coût, le projet de loi El Khomri pourrait-il faire bouger les lignes ?