Alstom-Siemens : une "non-fusion" lourde de conséquences

La question de l'avenir d'Alstom sur le long terme se pose après la décision de Bruxelles.
La question de l'avenir d'Alstom sur le long terme se pose après la décision de Bruxelles. © SEBASTIEN BOZON / AFP
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La Commission européenne a refusé de valider la fusion entre Alstom et Siemens. Un coup d’arrêt qui pourrait porter préjudice à la France mais aussi… à l’Europe.
ON DÉCRYPTE

La Commission européenne inflige une claque à Alstom et Siemens. Bruxelles a refusé mercredi la fusion des industriels français et allemand, espérée par les deux entreprises depuis un an et demi. Le but était de créer un géant industriel européen pour contrecarrer l’expansion de l’ogre chinois CRRC. Mais l’UE a estimé que ce rapprochement aurait créé une situation de monopole avec des conséquences sur les prix des trains et des billets. Cette décision a provoqué l’ire de Paris et Berlin et pourrait avoir de sérieuses répercussions sur l’Union européenne.

Pourquoi l’UE refuse-t-elle la fusion ?

"La Commission a interdit la concentration parce que les entreprises n'étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés", a déclaré Margrethe Vestager, Commissaire chargée de la Concurrence. "En l'absence de mesures compensatoires suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse", a ajouté la Danoise.

Margrethe Vestager s'était déjà inquiétée à maintes reprises des effets de ce rapprochement. Il aurait réduit le nombre d'industriels rivaux dans l'UE, ce qui aurait risqué de faire monter les prix des trains pour les compagnies ferroviaires, et celui des billets pour les consommateurs.

Quel avenir pour Alstom ?

À court terme, Alstom n'a pas d'inquiétude à se faire. Avec 40 milliards d’euros de commandes - l’équivalent de cinq ans de chiffres d’affaires, Alstom a de quoi voir venir. Mais pour l'avenir, ce sera plus compliqué. Au moment de l'annonce de la fusion, Alstom reconnaissait qu'en dehors de l'Europe, il n'était pas assez compétitif. Cette fusion était donc capitale aux yeux de ses dirigeants. À long terme, cela pose également la question de la pérennité des usines d'Alstom en France. Avec la fusion, le groupe s'était en effet engagé à ne rien fermer. Cela va devenir plus difficile de tenir une telle promesse dans les années à venir.

Pourtant, les salariés du site de Valenciennes sont, eux, contents de la décision de la Commission puisqu’ils craignaient que la fusion ne se traduise par des suppressions d’emplois. "Dès le départ, on savait qu’au niveau de l’emploi c’était pas clair. On n’est pas contre un rapprochement mais de manière intelligente, avec les États dans la boucle, pour créer une sorte d’Airbus du ferroviaire", plaide au micro d’Europe 1 Vincent Jozwiak, délégué Force ouvrière. Quoi qu'il en soit, Alstom a tiré un trait sur une éventuelle fusion, un jour, avec Siemens.

 

Une porte ouverte à la Chine ?

La décision de la Commission européenne "va servir les intérêts économiques et industriels de la Chine", fulmine Bruno Le Maire. Elle empêche Alstom et Siemens "de fusionner pour avoir le même poids que le grand champion industriel chinois", en l’occurrence CRRC Corporation, numéro un mondial du secteur ferroviaire plus gros qu’Alstom, Siemens et le Canadien Bombardier réunis. D’après Bruno le Maire, CRRC fabrique 200 trains à grande vitesse chaque année, contre 35 pour Siemens-Alstom. Et niveau chiffre d'affaires, le combat est également déséquilibré : 26 milliards d'euros pour CRRC en 2017 contre 8 milliards pour Siemens Mobility et Alstom.

En quelques années, grâce à des tarifs défiant toute concurrence, le groupe chinois s'est imposé sur la scène internationale, en ouvrant des usines ici et là, plaçant des locomotives, des trains ou des métros de Boston à Philadelphie en passant par Buenos Aires, Le Caire, Istanbul, Lagos ou Los Angeles, en Angola, au Brésil, au Chili, au Costa Rica, en Inde, en Jamaïque, en Mongolie, en Nouvelle-Zélande… S'il n'a pas réussi à racheter le constructeur tchèque Skoda - ce qui lui aurait offert un ancrage sur le Vieux continent, CRRC a réussi à gagner quelques contrats en Europe, comme en Serbie, en Macédoine ou en République tchèque. Il a aussi vendu quelques wagons de maintenance au métro de Londres et quatre locomotives à la Deutsche Bahn allemande.

Vers une réforme du droit de la concurrence européen ?

Excédé par la décision de Bruxelles, Bruno Le Maire a dénoncé "des règles obsolètes qu'il faut refonder". "Il y aurait pu y avoir une autre interprétation des règles européennes et je conteste l'analyse technique qui a été faite de ce dossier par la Commission européenne", a-t-il expliqué, parlant d’"une erreur économique", "une faute politique" qui "affaiblit l'Europe". "Le rôle de la Commission européenne, des institutions européennes, c'est de défendre les intérêts économiques et industriels européens", a martelé Bruno Le Maire.

Résultat, le ministre de l’Économie a annoncé son intention de présenter avec son homologue allemand Peter Altmaier des propositions pour "refonder les règles de la concurrence européenne". "N'y a-t-il pas des domaines tels que l'aviation, les chemins de fer, les banques où (l’UE) doit prendre le marché mondial comme référence plutôt que l'européen ?", a fait valoir le ministre allemand de l’Économie. Les débats devraient donc être agités au plus haut niveau de l’Union européenne.