Renault, Vivendi… faut-il favoriser les "vieux" actionnaires ?

© YASUYOSHI CHIBA / AFP
  • Copié
, modifié à
La loi Florange prévoit de doubler le pouvoir des actionnaires présents dans une entreprise depuis plus de deux ans. Ce qui ne plait pas à tout le monde.

C'est une mesure assez méconnue de la loi Florange, en vigueur depuis mars dernier : le vote double. Concrètement, cela permet à un actionnaire présent depuis plus de deux ans dans le capital d'une entreprise d'avoir plus de pouvoir : lors des assemblées générales, les votes de ces "vieux actionnaires" comptent double. Cette semaine, plusieurs voix se sont faites entendre pour contester cette mesure, accusée de créer de nombreux déséquilibres… et même de fragiliser l'alliance Renault-Nissan. Décryptage.

Ce que lui reprochent ses détracteurs. La mesure concerne uniquement les sociétés cotées en bourse. La loi n'impose rien, et une entreprise peut y échapper : ce sont les actionnaires qui doivent décider de l'appliquer ou non. Et chez Vivendi, où l'assemblée générale a tranché vendredi, la mesure a bien failli être rejetée. Elle a été votée de justesse, par 50,15% des voix des actionnaires.

Pour ses détracteurs, le vote double privilégie les gros actionnaires, qui ont désormais les moyens de prendre le contrôle quasi-total d'une entreprise. "Le droit de vote double n'apporte pas grand-chose aux petits porteurs", regrette ainsi Denis Branche, directeur général délégué de PhiTrust, actionnaire minoritaire de Vivendi. "Il favorise de fait les investisseurs voulant exercer le contrôle d'une société", a-t-il ajouté. "Les droits de vote double ne font que renforcer la puissance des plus grands", renchérit Pierre-Henri Leroy, le président du cabinet de conseil Proxinvest, cité par Usine nouvelle. Dans le cas de Vivendi, par exemple, le vote double donne une grande marge de manœuvre à Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance et actionnaire majoritaire (14,52%) du groupe. 

Ce qu'en attend le gouvernement. Pour le gouvernement, en revanche, la loi permet de protéger les entreprises de la spéculation, en rendant plus stable le capital. Le vote double incite en effet les investisseurs à s'engager sur le long terme dans l'entreprise, plutôt que de revendre ses actions au plus offrant dès que le cours remonte.

Mais le gouvernement prête une autre ambition à cette mesure. Grâce à elle, l'Etat peut se délester de certaines de ses propres actions pour renflouer ses comptes, tout en gardant son pouvoir au sein des entreprises où il est présent de longue date. Si ces sociétés adoptent le vote double, l'Etat pourra en effet potentiellement vendre la moitié de ses actions tout en gardant le même pouvoir. Ce qui lui permettrait d'empocher jusqu'à 16 milliards d'euros.

renault, nissan, etat, actionnaires

© AFP

Le cas Renault. Le hic : à l'instar de chez Vivendi, la grogne contre le vote double pourrait aussi monter dans les sociétés dont l'Etat est actionnaire. Cela a même déjà commencé chez Renault. La direction de la marque au losange s'y est en effet opposée, au motif que cela pourrait remettre en cause l'alliance avec Nissan. En effet, Nissan détient 15% du capital de Renault, mais n'a pas de droit de vote. Et les Japonais voient d'un très mauvais œil le fait que l'Etat français puisse obtenir un droit de vote double. "C’est incompréhensible pour les Japonais et cela ne peut que les irriter", assure un bon connaisseur du dossier cité par Le Monde.

>> Voir sur ce sujet le décryptage de notre éditorialiste Nicolas Barré :

L'assemblée générale de la marque au losange doit plancher sur le vote double le 30 avril. Et pour avoir plus de chance d'obtenir une majorité, l'Etat a décidé de tenter un coup de force : le 1er avril dernier, il a décidé de monter son capital dans le groupe de 15 à 19,74%. Ce qui n'a fait que renforcer les tensions. "L'Etat n'a prévenu personne. Cela a rendu furieux la direction de Renault et surtout Nissan, qui se sent traité comme un partenaire de second rang", décrypte l'éditorialiste Nicolas Barré. Et de conclure : "cela va laisser des traces. L'alliance est fragilisée. Les Japonais se posent des questions et veulent un rééquilibrage en leur faveur. Ils ont confiance en Carlos Ghosn (le patron de Renault), mais beaucoup moins en l'Etat français. Se pose désormais la question de la présence de ce dernier".

Et les autres entreprises ?  Si dans certains cas le vote double passe mal, de nombreuses entreprises l'appliquaient toutefois bien avant la loi Florange. Selon une étude de PhiTrust citée par Usine nouvelle, seules 13 entreprises du CAC 40 appliquent le principe des droits de vote simples, dont Renault, Air Liquide, EDF, GDF Suez, L’Oréal, Orange et Veolia. Leurs assemblées trancheront prochainement pour savoir si elles acceptent ou non le vote double. 

>> LIRE AUSSI - L’Etat dispose d’un pactole potentiel de 16 milliards

>> À ECOUTER - Vote double : Renault s'oppose clairement à l'Etat