La France ne veut pas de la prostitution dans son PIB

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avec Anne-Laure Jumet , modifié à
ÉCONOMIE SOUTERRAINE - Les pays européens doivent désormais comptabiliser les activités illégales dans leur PIB. Paris en accepte le principe pour la drogue mais pas pour la prostitution. 

L’info. Depuis le 1er septembre, les Etats membres de l’Union européenne sont censés prendre en compte l’économie souterraine dans le calcul de leur Produit intérieur brut (PIB). Donc comptabiliser le travail au noir, mais aussi et surtout les richesses générées par le trafic de drogue et la prostitution. L’Insee devait ainsi transmettre à Bruxelles cette nouvelle comptabilité le 22 septembre au plus tard. Sauf que l’institut français a rechigné à respecter ces nouvelles normes du système européen des comptes : d’accord pour la drogue, mais pas pour les prostituées.

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Pourquoi comptabiliser la drogue et la prostitution ? Le PIB d’un Etat comptabilise la richesse produite dans un pays, ainsi que les activités des administrations publiques. Or l’économie parallèle contribue elle aussi à la richesse d’un pays, certes à l’ombre, mais elle génère aussi de l’activité, des revenus, etc. Au-delà de l’aspect moral, l’économie souterraine devrait donc être comptabilisée aux yeux de la Commission européenne.

Son institut statistique, Eurostat, est d’autant plus enclin à prendre en compte la prostitution, le trafic de drogue et le travail au noir qu’il est censé comparer les pays entre eux. Or, actuellement, c’est loin d’être le cas : comment comparer le PIB de la France avec celui des Pays-Bas, où la consommation de cannabis et la prostitution sont légales, et donc intégrées dans les chiffres ? Pour mettre fin à ce "deux poids, deux mesures", l’Europe a donc décidé d’uniformiser les règles statistiques.

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Pourquoi la France rechigne-t-elle ? La morale n’y est pour rien, ou presque. Pour l’Insee, intégrer la drogue dans le PIB est acceptable parce qu’il s’agit d’un échange commercial consenti. Pour la prostitution, les choses se corsent : l’institut estime que la majorité des prostituées vendent leur corps sous la contrainte, souvent sous la coupe de réseaux mafieux, quand elles ne sont pas mineures. Pour la France, il ne peut donc s’agir d’un commerce au sens statistique du terme.

A l’inverse, d’autres pays ont déjà accepté cette nouvelle méthode : il s’agit notamment du Royaume-Uni, de la Belgique, de l’Italie, de l’Espagne et de la Suède. On peut également noter que les Etats-Unis ont aussi modifié leurs calculs en 2013.

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La France plus riche de 3 milliards grâce à la drogue.  La Commission a déjà fait ses calculs : en réintégrant dans les comptes toutes ces activités souterraines, les pays européens se retrouvent plus riches. Ainsi, interrogée par Europe 1, l’Insee estime que le chiffre d’affaire du cannabis, de la cocaïne et de l’héroïne avoisine les trois milliards d’euros. Mais comme une part importante de cette drogue  est importée, l’Insee ne retiendra que le chiffre de 2 milliards d’euros. Quand à la prostitution, elle ne sera officiellement pas comptabilisée mais la Fondation Scelles estime qu’elle génère chaque année trois milliards d’euros. Au final, la France verrait son PIB augmenter d’environ 0,25 point.

Mais bien plus sage que ses voisins européens. Bien qu’il s’agisse de milliards, les chiffres français font pâle figure en comparaison du reste de l’Europe. Car, en attendant les nouveaux chiffres d’Eurostat, certains pays ont déjà livré leurs propres estimations. Et la France a l’air d’un enfant de choeur.

Ainsi, l’ONS, l’équivalent britannique de l’Insee, estime que la prostitution représente 6,5 milliards d’euros et le trafic de drogue 5,4 milliards. Soit tout de même 12,3 milliards de plus à comptabiliser, l’équivalent d’un point de PIB. Et une conclusion : les Britanniques se droguent et recourent au sexe tarifés deux fois plus souvent que les Français.

La Banque d’Italie a, elle, estimé que son économie souterraine pèse 10,9% de son PIB, en incluant le travail non déclaré et toutes les activités de la mafia. Résultat, son PIB bondirait d’un coup de plus d’un point. En Espagne, l’institut INE estime que le PIB pourrait gonfler de 2,7 à 4,5 points, toujours selon les mêmes calculs. Les Etats-Unis ont également adopté les mêmes normes comptables et ont même révisé leurs chiffres du PIB jusqu’en 1945.