Impôts : la taxe d'habitation a-t-elle réellement baissé de 30% ?

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La baisse de la taxe d'habitation : un sujet d'importance pour le gouvernement. © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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La baisse de 30% de la taxe d'habitation promise par le gouvernement est entrée en vigueur. Mais certains contribuables ont eu de mauvaises surprises.
ON DÉCRYPTE

C'était l'une des mesures phares du candidat Macron : la baisse progressive de la taxe d'habitation jusqu'à sa suppression pure et simple (prévue en 2021). Cette baisse entre en vigueur ce mois-ci avec un dégrèvement de 30%. Il sera ensuite de 65% en 2019 puis de 100% en 2020. Le gouvernement y voyait là l'opportunité de prouver son engagement à aider les classes moyennes en diminuant un impôt que le président de la République a qualifié d'"injuste", tous les habitants d'une même ville* payant le même montant, quel que soit leur niveau de revenus. Problème : de nombreux contribuables ont fait part de leur surprise, pour ne pas dire de leur colère, sur les réseaux sociaux, en constatant que leur taxe d'habitation 2018 avait augmenté.

Parmi elles, l'ancien auteur des Guignols Bruno Gaccio, auquel le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a tenu à répondre en personne. Preuve que la mesure n'est pas lisible pour tout le monde. Et que le gouvernement y est très sensible…

La baisse de 30% ne concerne que 80% des ménages…

C'est la première question que le ministre pose à l'humoriste et homme de théâtre : "Faites-vous partie des 80% de bénéficiaires de la baisse de 30% cette année ?" Et c'est effectivement la première question à se poser. Comme vous le rappelait Europe 1 au début du mois, et, pour le coup, le gouvernement l'avait annoncé très tôt, la baisse de 30% de cet impôt ne concerne pas tous les contribuables. Elle concerne quatre ménages sur cinq, soit 22 millions de ménages en France.

Pour bénéficier de la mesure, il ne faut pas que votre revenu fiscal de référence (RFR) de l'année 2017 dépasse certains seuils. Par exemple, pour une personne célibataire, ce seuil est fixé à 27.000 euros de RFR, ce qui correspond à 30.000 euros de revenus annuels (soit environ 2.500 euros net par mois), comme le précisent nos confrères de boursier.com.

Pour un couple avec deux enfants, le seuil du RFR est relevé à 55.000 euros. Pour éviter les effets de seuil, un dégrèvement dégressif (c'est le terme officiel) est appliqué. Par exemple, une personne célibataire qui possède un RFR compris entre 27.000 et 28.000 euros bénéficiera d'une réduction de 15% sur sa taxe d'habitation.

De fait, et comme cette baisse est calculée par rapport à la situation familiale et aux revenus du contribuable (contrairement à la taxe d'habitation à l'origine), il est tout à fait possible qu'une personne pensant pouvoir en bénéficier n'en bénéficie pas, par exemple si son salaire annuel a augmenté entre 2016 et 2017 (ce sont les revenus de 2017 qui sont pris en compte).

… Et ceux qui habitent une commune dont le taux n'a pas bougé

Si l'on ignore la situation fiscale précise de Bruno Gaccio (ce qui n'est peut-être plus le cas de Gérald Darmanin, qui lui a proposé d'étudier son cas), d'autres témoignages sur Twitter révèlent un élément d'importance : la taxe d'habitation reste un impôt local, dépendant du taux imposé par la commune.

Ainsi, sans changement de situation professionnelle ou personnelle, ni déménagement, certaines personnes pouvant prétendre à une baisse de 30% de leur impôt ont au contraire constaté une augmentation. Ou une baisse ridiculement faible. Sur le document de certaines personnes, on peut donc lire parfois : "À la suite de la réforme nationale de la taxe d'habitation, vous bénéficiez pour cette année d'une réduction de 30% de cet impôt. Toutefois, l'une au moins de vos collectivités ayant augmenté son taux ou supprimé des avantages vous concernant, votre gain est diminué de X euros."

Là encore, l'administration fiscale ne cache rien. Dans son document sur la taxe d'habitation, il est écrit : "Le dégrèvement est calculé en prenant en compte les taux votés par les collectivités en 2017. Ainsi, si votre collectivité décide d'une hausse du taux de taxe d'habitation en 2018, seule la part de taxe d'habitation calculée à partir du taux de 2017 sera dégrevée". Par exemple, si, en 2017, vous payiez 800 euros de taxe d'habitation, que vous êtes concerné par la remise de 30%, vous devriez payer 560 euros aujourd'hui (800 euros moins 30%), soit un gain de 240 euros. Mais, si, dans le même temps, votre commune a décidé une hausse d'impôt, votre réduction, et donc votre "gain", sera moindre.

Les contempteurs d'Emmanuel Macron ont eu tôt fait de déterrer une ancienne vidéo de mars 2017, dans laquelle celui qui n'était encore que candidat détaillait devant les maires de France le dispositif qu'il souhaitait mettre en place (et qu'il a mis en place), un dispositif qui prévoit une marge de manœuvre pour les collectivités locales… "Les éventuelles augmentations ne seront pas prises en charge par l'État mais par les contribuables, ce qui est normal", expliquait-il alors, après avoir essuyé des sifflets. "Et donc l'État couvre, à hauteur de dix milliards d'euros, au taux actuel, la taxe d'habitation pour ces 80% d'habitants. Si le maire, parce que je garantis l'autonomie fiscale, décide de la 'réaugmenter', pour la totalité de ses habitants, ce sera perceptible par les habitants. L’allègement porté par l'État restera mais la collectivité garde sa liberté."

Qui dit liberté, dit donc différences d'une commune à une autre, d'un contribuable à un autre. Jeudi matin, Gérald Darmanin a retweeté un message de La République en marche en Ille-et-Vilaine, signalant que la ville de Rennes était l'une des villes où la taxe d'habitation baisse le plus en volume. Elle diminue ainsi en moyenne de 379 euros quand la baisse en France annoncée serait de 200 euros. Pourquoi ? "Parce que ni la ville ni la métropole n'ont touché aux taux de fiscalité", précise un élu à Ouest France.

Selon le magazine Capitalet comme nous vous l'indiquions en septembre, c'est aussi le choix de la plupart des métropoles de l'Hexagone. D'autres - un rapport parlementaire évoque le chiffre de 5.680 communes à date, sur plus de 35.000, soit environ une sur six - ont augmenté leur taux (la baisse de la taxe d'habitation est alors de moins de 30%, voire il n'y a pas de baisse du tout) et d'autres ont baissé leur taux, comme Caen et Villeurbanne. Et, dans ce cas, la "ristourne" est de plus de 30%… La taxe d'habitation a-t-elle réellement baissé de 30% ? Théoriquement, oui, pour 80% des Français, mais, dans les faits, pour aucun d'entre eux en particulier…

Les résidences secondaires exclues. Cette baisse de 30% ne concerne que les résidences principales. Les propriétaires de résidences secondaires continueront donc d'être assujettis à cet impôt pour leur bien.

*Certaines exonérations existent déjà pour des personnes bénéficiant de faibles revenus