"S'enfuir. Récit d'un otage" : 111 jours de captivité en BD

Dans ses vignettes, Guy Delisle n'hésite pas à adopter le point de vue de Christophe André.
Dans ses vignettes, Guy Delisle n'hésite pas à adopter le point de vue de Christophe André. © DARGAUD
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Guillaume Perrodeau
Le dessinateur Guy Delisle a réalisé une BD à partir du témoignage de Christophe André, otage pendant plus de trois mois en Tchétchénie.

Une plongée radicale dans la tête d'un otage. Guy Delisle revient en librairie ce vendredi avec une bande dessinée. S'enfuir. Récit d'un otage relate la terrible expérience de Christophe André, membre d'une ONG kidnappé lors de sa première mission humanitaire dans le Caucase, en 1997. Plus de trois mois de captivité suivront, nimbés de doutes, d'humiliation et d'espoir.

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Dessiner le huis clos. Mettre en image la captivité n'est pas simple. Christophe André a pour seul distraction les allées et venues de ses geôliers, une chambre vide avec une fenêtre condamnée et, de temps en temps, les couloirs et la salle de bains de la maison dans laquelle il est retenu. Cette répétition quotidienne transparaît forcément dans les dessins de Guy Delisle. Ses traits de crayons deviennent ainsi le prolongement de l'enfermement de Christophe André. Tout comme l'otage, le lecteur est coincé entre quatre murs.

D'ailleurs, dans ses vignettes, Guy Delisle n'hésite pas à adopter le point de vue de Christophe André. Les regards entre otage et lecteur se confondent. Le dessinateur cherche évidemment l'implication de celui qui tourne les pages, sans pour autant tout sacrifier sur l'autel de l'émotion. Ainsi, S'enfuir s'avère être aussi un précieux document d'information. On y voit un otage qui passe par différentes étapes tout au long de sa captivité.

"J'imaginais en avoir pour 24 heures". Tout au long de sa détention, Christophe André tient un décompte, celui des jours qui passent. C'est le seul lien qui relie Christophe André à la réalité. L'otage en a conscience. Se souvenir de la date du jour, se repérer dans le calendrier, c'est ne pas sombrer, exister au milieu d'un monde dont on l'a coupé. L'otage prend ce réflexe tout de suite. Un paradoxe, car pendant les premiers temps de sa captivité, l'humanitaire pense justement que ce kidnapping est une question de jour. "J'imaginais en avoir pour 24 heures. Le temps qu'une cellule de crise se mette en place et que les contacts s'établissent avec les réseaux qu'on avait dans le pays. Au pire, deux ou trois jours". Ce sera finalement 111 jours.

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Tout est sujet à spéculation. Plusieurs fois, Christophe André pense à s'échapper. Lors d'un repas, un geôlier qui a le dos tourné laisse sa kalachnikov à portée de main de l'otage. Christophe André hésite. L'utiliser ? S'en servir ? Est-il réellement prêt à tuer ? À l'image de cette scène où tout se bouscule dans sa tête, le cerveau de Christophe André est un champ de réflexion permanent durant sa captivité. Le moindre bruit qu'il entend au dehors, la moindre attitude de ses gardiens est sujet à spéculation.

L'absence d'information est sans doute le plus dur, ce qui le fait principalement réfléchir. Ne pas savoir si et comment on est à sa recherche le torture intérieurement. Finalement, pour prouver qu'il est bien en vie, ses geôliers lui permettent d'entrer en contact téléphonique avec des membres de son ONG un soir. "Je me sens soulagé d'un poids", confie directement l'otage après ce coup de fil. Un petit rayon de lumière au milieu de l'obscurité car comme le raconte Christophe André en quatrième de couverture : "Etre otage, c'est pire qu'être en prison. En prison, tu sais pourquoi tu es là et à quelle date tu vas sortir. Quand tu es otage, tu n'as même pas ce genre de repère. Tu n'as rien".

Guy Delisle a laissé de côté sa vie personnelle et ses aventures de papa pour cette BD. L'auteur était habituellement connu pour des ouvrages qui dépeignaient sa vie à l'autre bout du monde, seul ou accompagné de sa famille, dont sa femme qui travaille pour une ONG. Pyongyang ou Chroniques de Jérusalem étaient ainsi des BD à la fois didactiques et amusantes qui nous plongeaient dans la culture d'un autre pays. Dans S'enfuir, le dessinateur s'efface derrière son interlocuteur, pour mieux raconter en détail sa détention.

S'enfuir. Récit d'un otage, de Guy Delisle, 428 pages, Dargaud.