Pourquoi il faut aller voir "Mektoub, my love : canto uno", le nouveau film d'Abdellatif Kechiche

Ophélie (Ophélie Bau) et Amin (Shaïn Boumedine).
Ophélie (Ophélie Bau) et Amin (Shaïn Boumedine). © Pathé distribution
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Le long-métrage d'Abdellatif Kechiche, auteur de "La vie d'Adèle", sort mercredi en salles. Le cinéaste sublime la banalité du quotidien et offre là, sans doute, l'un de ses meilleurs films.

Cinq ans après La vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche est de retour. Son nouveau film, Mektoub, my love : canto uno, sort mercredi en salles. Un long-métrage époustouflant, dans la droite ligne de ce que le cinéaste a toujours su proposer, filmant au plus près ses acteurs, pour un rendu désarmant de naturel.

Sète, 1994. Amin (Shaïn Boumedine), apprenti scénariste installé à Paris, revient pour un été dans sa ville natale. Il y retrouve son cousin, le beau-parleur Tony (Salim Kechiouche), sa meilleure amie Ophélie (Ophélie Bau), sa mère, sa tante, ses autres cousins et oncles. Il fait la connaissance de Charlotte (Alexia Chardard) et Céline (Lou Luttiau), venues passer plusieurs jours sur la côte occitane. D'autres viendront se joindre à cette petite communauté éphémère, au gré des dîners au restaurant, des danses en boîte de nuit et des après-midi sur la plage.

Ces gens se retrouvent, certains se découvrent, d'autres s'amusent, dansent, s'embrassent et se baignent. L'intrigue de Mektoub, my love : canto uno ne va pas plus loin que ça. De cette simplicité naît pourtant l'un des plus beaux films du cinéaste, d'une déroutante profondeur. Car dès la première scène, où Amin débarque chez sa meilleure amie Ophélie, on mesure plus que jamais la force d'Abdellatif Kechiche : cette capacité unique à capturer une vérité. La profonde émotion du film émane de là. La banalité du quotidien, sublimé par le regard du cinéaste.

À l'écran, c'est comme si les acteurs ne jouaient pas. La caméra va toujours au plus près des visages, des corps, mais réussit à se faire oublier. En quelques plans qui s'enchaînent, Abdellatif Kechiche atteint une sincérité d'une troublante beauté. Elle déborde de chaque regard, chaque sourire, chaque hésitation des personnages. La plupart sont d'ailleurs des acteurs non-professionnels, tous incroyables de justesse. Le spectateur est invité à partager un bout de la vie de cette petite communauté, le temps de cet été 1994. Tout semble vrai, jamais feint. C'est comme si ces personnes avaient toujours existé, en dehors du film, et qu'elles continueront à vivre, une fois le générique de fin terminé.

Au sein de ce ballet de rencontres, il y a Amin, la figure principale du film. Plutôt discret, il se démarque au milieu de l'agitation ambiante, de ces gens qui se draguent, dansent, s'époumonent sur des chansons. "Sage est celui qui a gardé son cœur d'enfant", lui adresse-t-on en guise de compliment, à l'occasion d'une scène de danse dans un bar. Amin aime tout simplement autre chose, n'a pas les mêmes plaisirs. Ou bien le sage a effectivement gardé son cœur d'enfant et pour l'heure, cela lui convient parfaitement.

Pour autant, Abdellatif Kechiche n'oppose pas ce personnage aux autres. Amin n'a pas le franc-parler de ses cousins, des dragueurs au numéro de séduction rodé. Mais le cinéaste ne montre jamais ces derniers comme des salauds. Ils ont un autre mode de vie qu'Amin, mais cette différence n'est pas négative aux yeux du cinéaste. Abdellatif Kechiche saisit toutes les vitalités, tous les désirs, à une même échelle. Le naturel, qu'il atteint grâce à sa méthode de tournage et son montage, désamorce tout jugement. Cette vérité qu'il touche nous renvoie à notre propre expérience. On peut se reconnaître dans un des personnages, ou bien seulement dans une attitude, un sourire. Ces vies à l'écran nous semblent si réelles, et donc parfois si proches de la nôtre ; on s'y mêle avec bonheur, on les quitte avec déchirement.