Onfray : "Quand mon père meurt, c'est entre mes bras"

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C.P.R , modifié à
Le philosophe se confie, dans un entretien intimiste avec Isabelle Morizet, sur son enfance et sur la relation qui le liait à son père.
INTERVIEW

Invité d'"Il n’y a pas qu’une vie dans la vie", dimanche, loin des polémiques, Michel Onfray s’est livré auprès d’Isabelle Morizet sur les temps forts de sa vie. Un mois après la sortie de son conte philosophique L’étoile polaire, chez Grasset, l’auteur s’est surtout confié sur le décès, en 2009, de son père, ouvrier agricole. Dans cet album, dont les illustrations à l’aquarelle ont été réalisées par Mylène Farmer, le philosophe évoque un agriculteur travaillant dans une ferme et, surtout, un garçonnet bavard, dont le père, taiseux, n’a pour seule envie que de se rendre au pôle Nord.  

Son père, "l’homme le plus riche du monde". "Mon père était un homme sans désir, sans ressentiment. Il ne convoitait rien", a confié le philosophe à Isabelle Morizet. "Quand il y avait une Fête des pères, on se disait : ‘mais qu’est ce qu’on lui offre ?’", se rappelle Michel Onfray. Gaston Onfray, "c’était l’homme le plus riche du monde. Quelqu’un qui est riche, c’est quelqu’un qui ne désire pas. Vous possédez le monde, quand vous ne le désirez pas". Aucun désir, ou presque. Car cet homme travaillant les champs au rythme des saisons a longtemps rêvé d’un voyage au pôle Nord. Une aventure que son fils lui a offerte pour ses 80 ans.

"Ce soir, le ciel est couvert". "J’ai toujours eu peur qu’il meurt", a confié Michel Onfray, car son père était plutôt âgé lorsqu’il l’a eu. Mais l’intellectuel a pu accompagner son père jusqu’à son dernier souffle. "Il m’a fait ce cadeau, j’espère que le mot ne sera pas obscène, de mourir en ma présence", a-t-il poursuivi, expliquant qu’il avait toujours craint que son père décède en son absence.

Ce soir de novembre 2009, il est un peu plus de minuit. Les deux hommes sont tous les deux sur la place de l’église, située entre leurs maisons respectives. "Quand mon père meurt, c’est entre mes bras." "'Ce soir, le ciel est couvert.’ Cela a été sa dernière phrase". "Je l’ai levé mon père, je l’ai porté, je l’ai allongé. Et il avait ses beaux yeux bleus, qui regardaient ce ciel dans lequel on n’avait pas vu ce soir-là l’étoile polaire", se souvient le créateur de l’université populaire de Caen, en 2002.

L’héritage du père, "une force terrible". "Je ne crois pas à l’immatérialité de l’âme. Mais je me sens d’un seul coup investi d’une force terrible. Comme s’il me donnait la vie, comme s’il me transmettait quelque chose. Ce que j’ai reçu là, je me suis dit : ‘mon garçon, cela fait de toi quelqu’un qui, désormais, n’a pas des droits mais des devoirs. Et il va falloir être à la hauteur", a expliqué Michel Onfray. "Quand j’ai commencé à écrire Cosmos (ndlr ; ouvrage publié en mars 2015 chez Flammarion), je pense que je suis parti à la recherche de cet héritage", analyse celui qui n’a hérité matériellement que d’un chèque de 38 ou 48 euros, "jamais touché".

Entre le silence paternel et l’abandon maternel. Pourtant, l’enfance du philosophe n’a pas toujours été facile. Avec "un père qui ne parle pas" et n’a jamais témoigné de son amour ou de sa fierté envers son fils, même si toute parole était "d’or", "une promesse". "J’ai longtemps été dans cette idée que si l’on ne dit pas ses sentiments, c’est qu’on n’avait pas de sentiments". Alors, à dix ans, "je ne comprends pas plus le silence de mon père que le comportement de ma mère", se souvient Michel Onfray.

Cette mère, femme de ménage, a abandonné devant un orphelinat ce gamin "intellectuel". "Un intellectuel, c’est une malédiction. On se dit ‘qu’est ce qu’on va faire de lui ?’". Elle-même avait été une enfant abandonnée : "Une mère douloureuse pour elle-même, pour moi aussi. Elle était en colère contre l’humanité tout entière." Mais "la paix a été faite" entre elle et moi, a indiqué Michel Onfray, semblant apaisé.

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