"Le Roi Lion" reproduit à l'identique des plans du "Roi Léo". 7:01
  • Copié
Avec plus de 10 millions de spectateurs, le remake du "Roi Lion" a permis à Disney de s'emparer haut la main de la tête du box-office 2019. Mérité ? Pas vraiment. L'histoire et les personnages du classique Disney n'ont rien d'original : ils ont été "empruntés" sans demander la permission au "Roi Léo", un manga japonais des années 1950.

1994 et 2019, même histoire : 25 ans après le classique de l'animation Disney, le remake du Roi Lion en images de synthèse s'est arrogé le titre de film le plus vu au cinéma cette année, avec 10 millions de spectateurs. Preuve que la recette Disney continue de faire son effet. Mais la recette n'est pas franchement "originale" : le succès du Roi Lion se fait sur le dos d'une oeuvre bien plus ancienne : le manga Le Roi Léo, écrit dans les années 1950 et pompé, voire carrément plagié par le studio aux grandes oreilles. Récit d'une incroyable histoire artistique.

Le Roi Léo, un classique japonais

Disney n’a jamais nié qu’il s’était beaucoup inspiré du Hamlet de Shakespeare, l'histoire d’un fils de roi qui doit venger son père assassiné par son oncle et reprendre son royaume, transposée ici au pays des lions. Mais Disney a longtemps caché une autre source d’inspiration : Le Roi Léo, un manga japonais imaginé par Osamu Tezuka, écrivain et dessinateur japonais, surnommé "Le Dieu du Manga" ou "Le Père du Manga". Véritable génie et bourreau de travail, Tezuka a créé plus de 700 œuvres originales, de la fin des années 40 à sa mort en 1989.

Les plus connues, ce sont Astro, le petit robot et Princesse Saphir, deux mangas adaptés en dessins animés et qui ont enthousiasmé les enfants des années Club Dorothée. Il y a aussi Black Jack, l’histoire d’un médecin cynique qui a inspiré… la série Dr. House. Et donc Le Roi Léo, le premier gros succès d’Osamu Tezuka. Le manga a été publié entre 1950 et 1954. On y suit les aventures de Léo, un lionceau blanc. Son père a été tué par un chasseur et lui capturé par les hommes. Léo va s’échapper pour revenir prendre les rênes de son royaume. L'histoire, sérieuse sur le fond, s'adresse néanmoins aux enfants grâce à un humour très cartoonesque et des dessins ronds et simples.

Le manga "Le Roi Léo" a été publié en 1950 au Japon.

Le Roi Léo est un succès immédiat au Japon. Dans les années 60, le manga est adapté en film et en dessin animé. Pour la petite histoire, c’est le tout premier animé japonais qui a été diffusé en France. C’était sur l’ORTF en 1972 ! Puis Le Roi Léo (parfois appelé Le Retour du Roi Léo) est passé sur La Cinq, dans le Club Dorothée et dans les Minikeums. Un vrai classique même s'il ne s'agissait pas de l'animé japonais le plus populaire. Reste un héritage, celui des génériques français, très 80s.

De l'inspiration au plagiat pur et simple

Sur le fond de l'histoire, la ressemblance avec Le Roi Lion n’est pas spécialement frappante, au-delà du lionceau appelé à devenir roi. Simplement car ce n'est pas le scénario que Disney a pompé mais plutôt les personnages et l'ambiance. Léo est un jeune lion au grand cœur qui ne mange pas de viande, comme Simba (plantes pour l'un, insectes pour l'autre). Il est aussi amoureux de sa copine d’enfance. Le lionceau doit reprendre le trône à un usurpateur, un vieux lion borgne et cruel. Oui, c’est Scar ! Pour cela, Léo est conseillé par… un oiseau bavard et un vieux singe malicieux. Zazou et Rafiki ne sont pas loin. Et il y a même les hyènes bêtes et moqueuses.

Et ce n’est pas tout ! À la sortie du Roi Lion,  des cinéphiles ont comparé avec le film Le Roi Léo, sorti en 1966, et ils se sont rendu compte que Disney avait carrément copié-collé des plans. Par exemple, celui, iconique où Simba aperçoit le fantôme de son père dans les nuages, une idée magnifique empruntée au Roi Léo. Et il y en a d'autres : Léo et Simba qui se tiennent sur un rocher dominant leur royaume, un bébé suspendu à une branche emporté par un flot d’animaux, un lion suspendu à une falaise… Une vidéo mise en ligne sur Youtube accable Disney :

Mais la preuve la plus accablante est le nom du lionceau : Simba. Dans le manga d’origine, il s’appelle Léo, rien à voir. Sauf que, quand le manga a été publié et traduit aux États-Unis, il y a eu quelques arrangements. Et Léo est devenu Kimba. Disney a simplement changé une lettre ! Ce qui a d’ailleurs entraîné une certaine confusion. Quand l’acteur Matthew Broderick, qui double Simba dans Le Roi Lion, a reçu le scénario et vu le nom du héros, il a cru qu’il s’agissait d’un remake du Roi Léo, car il avait vu le dessin animé japonais étant petit !

Pas de procès mais un "hommage" posthume

Au départ, face à ces accusations (notamment d'un collectif d'artistes japonais ulcérés), Disney a tout nié en bloc. "Pendant tout le temps où j'ai travaillé sur Le Roi Lion, le nom de ce show n'est jamais sorti. Du moins je ne l'ai jamais entendu. Je n'avais jamais vu ce show et je n'ai vraiment été au courant que quand Le Roi Lion était en train de se terminer, et qu'on m'a montré des images de celui-ci", déclarait en 2014 le réalisateur du Roi Lion Roger Allers. Sauf que lui-même avait travaillé comme animateur au Japon dans les années 1980. Difficile d’imaginer qu’il n’avait jamais entendu parler du Roi Léo.

Pour autant, il n'y a pas eu de procès. Le Roi Lion est sorti en 1994, cinq ans après la mort d’Osamu Tezuka. Mais ses ayant-droits, c’est-à-dire sa famille et les responsables de son studio d’animation, celui qui avait produit le film Le Roi Léo, n’ont pas voulu porter plainte contre Disney. La raison est plutôt poétique : Osamu Tezuka était un grand admirateur de Disney. Jeune garçon, il avait été très marqué par Bambi notamment. Devenu mangaka, il s’est lui-même inspiré du style Disney en dessinant des personnages très ronds, comme Mickey, très expressifs, un peu enfantins, beaucoup d'animaux doués de la parole…

Osamu Tezuka avec les héros de ses mangas, dont Léo, en bas à gauche.

Donc, en voyant Le Roi Lion, sa famille a estimé que Tezuka aurait été non pas vexé mais honoré que Disney s’inspire du Roi Léo. Quand on sait que le mangaka est considéré dans son pays comme le "Walt Disney japonais", on peut dire que la boucle est bouclée. Même si, au-delà de la poésie, une autre version de l'histoire veut que Tezuka Productions, bien que possédant un dossier d'accusation pour plagiat suffisamment solide, n'a pas voulu engager de bataille juridique contre le géant américain de peur de se ruiner.

Si Disney n'a jamais officiellement reconnu l'influence du Roi Léo, des langues se sont petit à petit déliées au sein du studio. Des animateurs et des scénaristes, dont certains ont travaillé directement sur Le Roi Lion, ont assuré qu'ils connaissaient bien l'animé japonais, diffusé à la télévision américaine pendant leur enfance, et que les huiles de Disney ne pouvaient pas ignorer son existence. De fait, il existe même des dessins préparatoires du Roi Lion sur lesquels figure… un lionceau blanc, accréditant la thèse selon laquelle Disney aurait voulu adapter Le Roi Léo mais n'aurait pas obtenu les droits.

Un croquis préparatoire du "Roi Lion" avec un lionceau blanc.

© Walt Disney Studios

Il faut sauver le roi Léo !

Il est un peu triste de comparer aujourd'hui les destins croisés de ces deux œuvres. Car pendant que Disney caracole en tête du box-office avec Le Roi LionLe Roi Léo tombe dans l'oubli. Il devient de plus en plus difficile d'accéder à la création d'Osamu Tezuka. Le manga n’est plus édité. On peut le trouver sur quelques sites de revente, comme Cdiscount, à un prix parfois délirant. Ou alors, sur les BDthèques numériques, des sites où on achète des versions dématérialisées de BD, par exemple Izneo. Quant au film de 1966, il est absolument introuvable de nos jours.

Et c'est bien dommage. Car Le Roi Léo reste un super manga et un super dessin animé pour les enfants. Notamment car il va plus loin que Le Roi Lion. Le fait qu’il y ait des humains dans l’histoire change tout. Le Roi Léo, c’est un plaidoyer écologique et animalier en avance sur son temps. On y voit Léo libérer les animaux d’un zoo, lutter contre la déforestation humaine et même s’adapter à la montée des eaux. Pour un manga vieux de 70 ans, c’est hyper moderne !

Heureusement, tout n'est pas perdu. Il est possible de trouver facilement (et même gratuitement sur Youtube en VF) le film Léo, roi de la jungle, sorti en 1997. Il s'agit d'une suite du film original et d'une adaptation de la troisième partie du manga, pensée d'ailleurs comme une réponse à Disney pour s'écarter du Roi Lion. La scène initiale reprend celle de Disney, avec les animaux réunis pour célébrer le fils du roi Léo. Mais ensuite, les enjeux changent. Les humains entrent en scène, avides de minerais cachés dans la jungle. Si vous avez des enfants, on vous conseille vraiment de leur montrer Léo, roi de la jungle, une excellente façon de les éveiller à l’écologie et à la protection des animaux. Et, au passage, de faire vivre une oeuvre, elle, réellement originale.