Juliette : "Le dernier qui m’a vue en petite robe n’est plus là pour le raconter"

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Aurélie Dupuy
La chanteuse littéraire et hors normes avoue un grand amour pour les titres populaires et creuse toujours le sujet de la féminité.
INTERVIEW

Depuis trente ans, Juliette chante, même si elle a intitulé son dernier disque J'aime pas la chanson. Elle vient de sortir la suite de cet album, un EP ironiquement intitulé La preuve. Elle y reprend quatre titres du répertoire français avant de se produire salle Pleyel, en avril. Pour s'entretenir avec elle dans l'émission En balade avec, Frédéric Taddéï l'a rejoint à la Conciergerie. 

"Vrai amour de la chanson populaire". Le rendez-vous a lieu dans la salle des gardes de l'ancienne résidence des rois de France, transformée ensuite en prison de femmes. D'après la chanteuse, née à Paris mais Toulousaine depuis des années, l'endroit "résonne bien". Elle le sait mieux que personne pour y avoir fait "une série de lectures de contes érotiques et drolatiques du Moyen-âge", il y a quelques années.

Sortir dans la cour est l'occasion d'évoquer les titres de l'EP, Les corons, Padam, Les brunes ne comptent pas pour des prunes et Ma préférence. "C’était important pour moi de dire que la chanson, ce n’est pas uniquement celle que je pratique qui est un peu... intello, le mot est lâché. J’ai aussi un vrai amour de la chanson populaire que les gens s’approprient."

CONCIERGERIE

La chanteuse Juliette avec Frédéric Taddéï à la Conciergerie.

"Vraiment bien dans mon époque". Le duo se dirige ensuite vers le théâtre du Châtelet, de l'autre côté du pont au Change. Ces quelques pas permettent à l'artiste de réfuter l'idée d'être une chanteuse anachronique. Oui, elle a chanté en latin, écrit des chansons qui renvoient à des images chrétiennes ou fait ressortir ses bases de musique classique. Mais elle le clame : "Je me sens vraiment bien dans mon époque. J’estime qu’avoir un pied loin dans l’histoire et un pied dans le futur est une attitude assez moderne".

Dans le détail, elle dit avoir une culture chrétienne "sans la foi qui va avec", ne s'étiquette pas révolutionnaire mais admet que c'est parfois quand "on ne demande pas poliment" qu'on obtient ce que l'on veut. Elle fait aussi partie des 150 personnalités qui ont signé le manifeste pour l'accueil des migrants. "Ça aurait été dramatique que je ne le fasse pas vu les idées que je défends et les chansons que j’écris. C’est un devoir d’Humanité, ça ne se discute même pas", tranche-t-elle.

Entendu sur europe1 :
Pour tout ce qui est artistique et qui se base sur des choses sexy, les femmes sont sans lunettes

Invitée à Matignon. A l'intérieur du Châtelet, où elle a reçu la Légion d'honneur, l'heure est aux grands travaux. Le théâtre à l'italienne de 1860 est désossé avant de refaire peau neuve, dorures comprises. "C'est une maison que j’adore, qui est remplie de souvenirs pour moi." Un lieu qui a jadis été rempli d’opérettes, des spectacles qu'elle aurait adorés. "Ça a un côté musique classique dévoyée et j’aime bien ça."

Pour parler d'un autre lieux majestueux, le duo rejoint Richard Flahaut à la brasserie Zimmer. L'homme est conservateur de l'hôtel Matignon. Juliette l'a rencontré lors de la deuxième année du mandat de François Hollande. Elle été "conviée à venir faire un concert dans la cour" lors de la Fête de la musique. La chanteuse a pu visiter l'hôtel peu après, et garde un souvenir particulier de "la cuisine immense". Une trentaines de personnes y travaillent tous les jours pour servir environ 250 repas quotidiens, précise le conservateur.

ZIMMER

Juliette dans la brasserie Zimmer en compagnie du conservateur de l'Hôtel Matignon, Richard Flahaut.

Quelle féminité ? La promenade se poursuit ensuite dans le Marais, un endroit qu'elle "aime beaucoup depuis très longtemps, bien avant que ce soit désigné comme le quartier gay." En allant chez son opticien rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, l'une des rares chanteuses à lunettes de la profession peut se laisser aller à quelques réflexions sur le physique. Elle l'a d'ailleurs déjà fait dans plusieurs chansons dont Madame, qui interroge la féminité. "Dans l’invisibilisation des femmes, il y a une invisibilisation encore plus importante qui est celle des femmes pas féminines", assure-t-elle.

 

Pas vivre sans lunettes. Elle maîtrise son sujet loin des talons aiguilles. "Le dernier qui m’a vue en petite robe n’est plus là pour le raconter. A partir du moment où j’étais autonome pour décider comment j’allais m’habiller, je n’ai plus jamais porté des vêtements dits féminins." Mais elle a ses lunettes, dont elle rend hommage dans la chanson A carreaux. "Il y en a quelques-unes des femmes à lunettes, des journalistes, des femmes politiques, donc qui veulent donner un côté sérieux, mais pour tout ce qui est plus artistique et qui se base sur des choses sexy, les femmes sont sans lunettes (...). Moi, je ne peux pas vivre sans. J’ai failli porter des lentilles, plus pour une chose pratique, mais il se trouve que je suis allergique. Je suis excessivement myope, à l’époque j’avais des énormes carreaux et des trucs qui pesaient un âne mort. C’est Alain Valentin qui m’a dit le premier qu’on pouvait faire des lunettes très petites." Désormais, ses nombreuses paires de lunettes sont une marque de fabrique.