César 2018 : pourquoi "Grave" a déjà gagné son pari

Les actrices Ella Rumpf (Alexia) et Garance Marillier (Justine).
Les actrices Ella Rumpf (Alexia) et Garance Marillier (Justine). © Universal Pictures Home Entertainment
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Le film de Julia Ducournau, nommé dans six catégories, a de vraies chances de victoires. Mais on peut d'ores et déjà estimer que le film est "gagnant" à plus d'un titre.

C'est un film d'horreur mais la belle histoire dure maintenant depuis plus de deux ans. Elle pourrait se conclure en beauté vendredi soir, à l'occasion de la 43e Nuit des César. Grave, de Julia Ducournau, présenté à Cannes en mai 2016 à la Semaine de la critique, est nommé à six reprises : meilleur réalisateur, meilleur premier film, meilleur espoir féminin, meilleur scénario original, meilleure musique originale et meilleur son. "Un cas à part, pour une oeuvre bien particulière", résume Gilles Penso, réalisateur et journaliste à L'Écran fantastique.

149.239 entrées en France. À sa sortie en salles, le 15 mars 2017, l'histoire de cette jeune végétarienne, qui devient cannibale lors de son entrée en école vétérinaire, avait emballé la critique. Le film avait aussi reçu une pluie de récompenses lors de ses passages en festivals (Grand prix et Prix de la critique au festival Gérardmer, Œil d'or du meilleur film de la compétition internationale et Prix Ciné+ Frisson du meilleur film au Paris International Fantastic Film Festival, notamment). Au point qu'en mars 2017, Europe 1 se demandait si Grave pouvait relancer le genre en France.

Mais après l'engouement critique, le long-métrage aux 3,5 millions d'euros de budget, devait trouver son public. Pas simple, pour un film à qui l'on attribue une interdiction aux moins de seize ans. Pas simple non plus, lorsqu'on sait que depuis plusieurs années, le secteur du cinéma d'horreur français est grippé, entre échecs des films au box-office, difficultés à financer les projets et concurrence des grosses productions américaines. À ce titre, avec ses 149.239 entrées au box-office français, Grave est une réussite. Il faut remonter à Brocéliande (2003) et ses 201.029 entrées, pour trouver une performance supérieure pour un film du même genre.

Un savant mélange des genres. Après les critiques et le public, c'est désormais aux professionnels du cinéma de consacrer Grave. En nommant à six reprises le film, dont trois catégories phares (meilleur réalisateur, meilleur premier film, meilleur espoir féminin), les quelque 4.500 votants offrent déjà une première reconnaissance à Grave. Jamais un film d'horreur français n'avait reçu un tel accueil dans l'histoire de la cérémonie. Même si, "par le passé, d'autres œuvres 'de genre' ont été nommées ou primées aux César : La Guerre du Feu (1981), Providence (1977), Harry un ami qui vous veut du bien (2000), Holy Motors (2012), etc", souligne Gilles Penso. Là-aussi, le journaliste évoque "des cas à part". "Ils abordaient le fantastique de manière non-frontale, tout en acceptant ses mécanismes et certaines de ses composantes", détaille-t-il.

Si Grave a réussi à fédérer aussi largement, c'est parce que le film, de la même manière que les longs-métrages précédemment cités, a su trouver la bonne formule. "Même si Grave se réclame ouvertement du genre de l'horreur - avec des séquences de cannibalisme et de morts sanglantes explicites - il n'en imite pas les codes. Au-delà de ses thématiques, qui auraient pu le faire basculer dans le cinéma gore traditionnel, il est écrit et mis en scène comme une comédie dramatique réaliste et presque naturaliste", analyse Gilles Penso.

La principale concernée, Julia Ducournau, confirme indirectement. Lors d'une interview accordée à des étudiants, la cinéaste s'explique sur "le potentiel universel du film". "Ce qui touche, c'est que Grave est un mélange des genres. Et je suis convaincue qu'une fois qu'on a dépassé la dichotomie 'auteur-genre', qui n'existe quasiment qu'en France, le public aime ressentir plusieurs émotions différentes à la fin d'un long-métrage", estime la réalisatrice. Un travail d'équilibriste, qui passe par la mise en scène et l'écriture du scénario. Un travail nécessaire, "pour faire accepter le changement de genre au fur et à mesure du film", comme elle le détaille dans une autre interview, accordée sur le site des César. En clair, ne pas perdre le spectateur quand il glisse, en quelques minutes, d'un film aux allures de drame social vers des séquences de cannibalisme. Le long-métrage de Julia Ducournau est déjà entré dans l'histoire française du film d'horreur. Sa singularité le fera peut-être entrer dans l'histoire des César vendredi soir.