Qui se cache derrière les sous-titres au cinéma ?

Un studio de VSI Paris, un laboratoire de sous-titrage et de post-production, situé à Paris.
Un studio de VSI Paris, un laboratoire de sous-titrage et de post-production, situé à Paris.
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REPORTAGE - Le sous-titrage au cinéma, c’est tout un art. Europe 1 vous décrit toute la chaîne, jusqu’à la diffusion du film en salles.  

Quand on va voir un film en version originale, ce n’est souvent qu’une ligne à laquelle on prête finalement peu d’attention : celle des sous-titres. Mais si on considère toute la chaîne, ce sont sept personnes qui ont permis leur apparition. On vous dit comment ça marche.

Entrons dans la peau d’Anaïs Duchet. Cette auteure, payée en cachets, est traductrice adaptatrice de sous-titres, essentiellement de l’Anglais vers le Français, et de l’Italien vers le Français. Elle a récemment traduit les sous-titres du film Divergente. On lui doit aussi les sous-titres de The Impossible, un long-métrage sur le Tsunami de 2004 en Thaïlande, avec Naomi Watts, sorti en 2012. Côté séries, Anaïs Duchet, qui exerce à bac+ 5 après des études de langues, n’est pas en reste puisqu’elle a traduit les séries télévisées américaines The Walking Dead ou encore The Newsroom. On la rencontre à VSI Paris, un laboratoire de sous-titrage et de post-production avec lequel elle travaille et qui se charge d’un film par mois. Avant la démonstration devant son écran d'ordinateur, Anaïs Duchet fait le point sur les choses à savoir.

Les trois commandements du traducteur :  

Les auteurs ne traduisent que vers leur langue maternelle. C’est déontologiquement très important.

Les auteurs ne comptent pas en secondes, mais… en images. Pour eux, chaque seconde est divisée en 25 images. Plus précisément, 24 images-seconde pour le cinéma et 25 images-seconde pour la télévision.

Le gros du travail se fait seul, devant son écran d’ordinateur, chez soi.

Moins de manipulation et des outils beaucoup plus compacts

fichiers-videos

Il y a encore cinq ans, il fallait six bobines pour faire une seule copie d’un long métrage de 90 minutes. Et la société de sous-titrage gravait les sous-titres sur chaque bobine… avec une machine de gravure laser. Avant, les copies-film s’empilaient, remplissant des pièces entières dans les laboratoires. Heureusement, ça c’était avant. C’est ce que nous explique le directeur de VSI Paris, Sammy Dessaint :

"Depuis que le cinéma numérique existe, le film se duplique numériquement et le sous-titrage est superposé au film." 

"Un sous-titre, grosso modo, c’est une phrase…et toujours moins de cinq secondes" 

Tout commence par un fichier vidéo, numérique, qui arrive entre les mains du traducteur-adaptateur de sous-titres. Le laboratoire a transformé au préalable le film en format utilisable par son logiciel de sous-titrages. Le "repérage", le découpage du film en sous-titres, est effectué par un "repéreur" (opérateur vidéo engagé par le laboratoire). C’est le logiciel qui compte les images une par une. Puis, un script des dialogues de la langue d’origine sous les yeux, l'auteur va, à l’image, créer chaque sous-titre dans une fenêtre dédiée. Pour créer ce "repérage", il faut évidemment respecter le rythme des phrases, nous confie Anaïs Duchet :

"Très souvent, un sous-titre ça va être une phrase, mais par forcément. Si une phrase est très longue, il va falloir faire des choix, découper en fonction du rythme de la parole, ou bien du rythme imposé par l’image."

"Un sous-titre ne peut pas durer plus de cinq secondes, et il ne peut pas chevaucher un plan. Pour une raison très simple : si un sous-titre commence sur un plan, puis saute sur un autre plan, l’œil va avoir tendance à relire le sous-titre du début à cause du changement d’images."

Un spectateur moyen à la seconde peut lire entre 12 et 15 caractères par seconde

C’est le logiciel qui repère les changements de plans pour faciliter la tâche des auteurs au repérage. Il calcule la durée du sous-titre (par exemple l’auteur sait qu’il a 1 seconde et 8 images) et en fonction de cette durée, il se voit imposer un nombre de caractères maximums pour traduire ce sous-titre, détaille l’auteure.

"Le temps de lecture est réglé entre 12 et 15 caractères par seconde, c’est ce que va pouvoir lire un spectateur moyen à la seconde pour que le film reste agréable à regarder. Donc par exemple, pour un sous-titre d’ 1 seconde et 8 images, j’ai droit à 19 caractères pour le traduire", précise Anaïs Duchet.

Et la couleur des sous-titres ? 99% des sous-titres sont blancs avec un liseré noir et un fond clair, pour des raisons de lisibilité.

Qui se cache derrière les sous-titres au cinéma ?par Europe1fr

Il y a donc beaucoup de contraintes techniques qui fonctionnent comme un cadre à l’intérieur duquel les auteurs vont avoir la liberté de créer, de traduire et d’adapter en essayant au maximum de respecter l’œuvre d’origine. Anaïs Duchet explique :

"Ce qui fait à la fois la difficulté et le côté passionnant de notre métier, c’est qu’une même réplique ne sera jamais traduite deux fois de la même façon. Si on a beaucoup de place ou au contraire très peu, ça va totalement modifier la façon de le traduire, donc c’est une gymnastique perpétuelle pour nous."

Deux à trois semaines pour traduire un film

Côté délai, en moyenne, pour traduire un film, il faut compter deux à trois semaines, voire un mois si l’auteur bénéficie d’un laps de temps confortable, nous confie Anaïs Duchet :  

"Mais entre un film d’une heure et demi, assez contemplatif et un documentaire de deux heures extrêmement bavard, on peut facilement passer du simple au double ou du simple au triple en nombre de sous-titres".

Même chose pour les tarifs : ils sont libres, et donc très variables. Pour avoir une idée, les tarifs indicatifs donnent 4,10 euros bruts le sous-titre. Un film en comporte entre 800 et 1500. Autrement dit, traduire un film en sous-titres rapporte entre 3.280 et 6.150 euros bruts.

Si ces tarifs sont globalement respectés par les "Major", la Warner, la Fox ou Paramount Pictures, c’est moins souvent le cas des plus petits distributeurs.

L’étape de la simulation, le film presque dans les conditions réelles.

la-simulation

L’auteur, après avoir peaufiné sa traduction et amélioré ses versions seul dans son coin, se rend au laboratoire de sous-titrage, en général en présence du client, le directeur technique de la société de distribution qui supervise toutes les étapes. A VSI Paris, les studios sont gigantesques, équipés de tables de mixage et de grands écrans. Anaïs Duchet nous décrit la scène :

"Là, on fait un visionnage et on procède aux derniers petits réglages. On traque les dernières fautes d’orthographe ou les coquilles. Avoir un œil neuf sur le film, c’est vraiment très important à cette étape là, parce que l’auteur, à force d’avoir le nez sur ses sous-titres, n’est pas toujours le meilleur relecteur. Après c’est projeté dans 500 salles en France. C’est notre nom qui est engagé en tant qu’auteur, donc évidemment, on a à cœur que ce soit parfait."  

Les titres des films ne sont jamais fait par les traducteurs…

Parfois, les auteurs passent la main au distributeur, qui se charge de la partie marketing. Notre auteure a récemment travaillé sur un dessin animé pour les enfants, Opération casse-noisette, qui va sortir au mois d’août :  

"Il y avait des choix à faire pour traduire les noms des personnages qui voulaient dire quelque chose en anglais. Là il fallait décider, en accord avec le distributeur. Donc j’ai fait des propositions, on a discuté, on a regardé par rapport aux personnages, à leur dessin et à leurs caractères, en se demandant ce qui correspondait le mieux."

Quant aux titres des films, ce ne sont jamais les traducteurs qui les font, mais le distributeur. Selon la façon dont celui-ci va vouloir orienter sa distribution ou la cible du film, raconte Anaïs Duchet :

"L’auteur est parfois consulté. On lui demande de faire des propositions. Moi personnellement ça ne m’est jamais arrivé, c’est toujours le distributeur qui choisit le titre français du film."

Le dernier contrôle qualité, au laboratoire.

C’est une étape technique, celle du "repassage du film pour vérifier le calage des sous-titres, pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème de son, d’enchaînement, que l’image ne saute pas.

C’est encore le laboratoire qui se charge de dupliquer le film une fois les sous-titres ajoutés, en autant de copies nécessaires à l’exploitant (entre 300 et 600 pour un gros film, mais parfois moins de 10 copies pour des films à très petite distribution) :

Duplication de film

 

Environ sept personnes travaillent sur toute la chaîne, entre la réception du film et son acheminement.

La rencontre avec le réalisateur ? "C’est très rare"

 Il arrive que des réalisateurs très francophiles ou qui sont particulièrement engagés dans la vie de leur film au-delà du pays d’origine s’intéressent au travail de sous-titrage. "C’est malheureusement assez rare", déplore Anaïs Duchet.

"On a déjà vu David Lynch assister à des simulations, c'est-à-dire au visionnage du film avec les sous-titres, pour procéder aux dernières corrections. On a vu aussi des réalisateurs français qui tournent en anglais, comme Michel Gondry, qui sont assez impliqués dans la traduction. En général ils ont une idée précise de ce qu’ils veulent que ça donne en français. Là ça peut être un peu compliqué. Il faut que le réalisateur comprenne que la traduction relève d’un autre métier.  Souvent aussi ils nous font confiance : ils ne sont pas forcément compétents pour juger le français."

Déformation professionnelle oblige…

Et quand on demande à Anaïs Duchet si elle va toujours au cinéma avec plaisir : "oui bien sûr, car comme tous les auteurs, je suis très cinéphile, mais j’avoue que c’est très difficile de ne pas scruter les sous-titres, et de ne pas s’énerver sur les sous-titres mal-faits ! Le constat est le même pour les séries mal sous-titrées, et là encore, on parle à une connaisseuse : "Je me force à ne pas regarder les sous-titres", dit-elle en riant, "mais je dois faire un effort."