Ramadan et pratique du sport de haut niveau peuvent-ils se concilier ?

Karim Benzema, attaquant français de confession musulmane, avait inscrit un triplé la saison dernière face à Chelsea en Ligue des champions alors qu'il pratiquait le jeûne.
Karim Benzema, attaquant français de confession musulmane, avait inscrit un triplé la saison dernière face à Chelsea en Ligue des champions alors qu'il pratiquait le jeûne. © JAVIER SORIANO / AFP
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Romain Rouillard
Soumis à des cadences soutenues, les sportifs de haut niveau qui poursuivent leur activité tout en pratiquant le jeûne encourent certains dangers qui peuvent mettre à mal leur intégrité physique. Ils peuvent toutefois compter sur les entraîneurs et médecins qui les entourent afin d'adapter leur quotidien de façon à contenir les risques.

C'est une équation parfois difficile à résoudre qui se dresse chaque année devant les sportifs de confession musulmane. Comment concilier la poursuite d'une activité physique à haute intensité tout en pratiquant le ramadan ? Ce jeûne, qui constitue l'un des cinq piliers de l'islam, consiste à ne rien boire ni manger du lever au coucher du soleil pendant un mois. Un rythme de vie a priori incompatible avec la pratique du sport de haut niveau qui réclame une attention toute particulière portée à l'alimentation. 

Certains athlètes choisissent d'ailleurs de décaler leur mois de jeûne afin de disposer de l'intégralité de leurs capacités physiques. Ce fut le cas du milieu offensif belge Nacer Chadli juste avant la Coupe du monde de football en 2014 ou encore des joueurs musulmans de l'équipe de France pendant l'Euro 2016. "Le Ramadan est un choix très personnel, il n’y a aucune obligation de le faire. Le principe du ramadan n’est pas de se faire violence, le jeûne est recommandé pour ceux qui en sont capables", déclarait d'ailleurs la Grande mosquée de Paris auprès du Figaro en 2014. L'islam permet également de compenser chaque jour non jeûné en procédant à des dons de nourriture à destination des plus démunies. 

Des risques de blessures 

Quant à ceux qui préféreraient observer le Ramadan en temps et en heure, certains risquent doivent être considérés, rappelle à Europe 1 Nicolas Aubineau, nutritionniste et diététicien du sport. "Quand on s'entraîne dans la journée, il faut régénérer l'organisme de manière optimale pour que le corps reprenne son efficience globale. Si on refait mal les réservoirs énergétiques, et notamment le stock de glycogène, si on reconstruit mal le tissu musculaire, on peut avoir des déficiences et des risques de blessures", souligne-t-il. Concrètement, l'absorption trop faible de nutriments au terme d'un effort physique acidifie le corps humain et le rend alors plus vulnérable aux inflammations. 

Thierry Blancon, préparateur physique et ancien entraîneur national d'athlétisme, pointe également la fatigue que peuvent ressentir les sportifs qui pratiquent le Ramadan. "Comme il n'est pas à date fixe, lorsqu'il tombe l'été, les plages de jeûne sont plus importantes. Et les athlètes prennent aussi sur leur sommeil car au coucher du soleil, il peut y avoir un moment festif, de réunion en famille. Il y a donc une perte de sommeil qui n'est pas favorable au sport de haut-niveau". 

Le corps médical veille au grain

Souvent bien conscients des risques qu'ils encourent, les sportifs musulmans mettent régulièrement en avant le volet spirituel du jeûne, primordial selon eux en période de compétition. "Il y a un aspect personnel à ne pas négliger. Jeûner peut être ressenti comme un besoin mental et donner de la force à un joueur. Si vous le privez de cela, il sera peut-être déçu et cela le perturbera sur la pelouse", confiait au Parisien Karim Haggui, ex-international tunisien, en 2018.  

Ces athlètes peuvent en général compter sur l'œil avisé du corps médical qui les entoure. "Sur les premières heures où ils peuvent s'alimenter, je leur conseille d'adopter des protocoles spécifiques de récupération avec des protéines, des glucides mais aussi des boissons spécialisées. On va aussi leur demander de s'hydrater tout au long de la nuit car l'eau permet de reconstruire les tissus", illustre Nicolas Aubineau.

Des entraînements adaptés

Quant aux entraîneurs, ils ont coutume d'établir, avec leurs poulains, des séances adaptées qui leur permettent de concilier ramadan et pratique sportive. Thierry Blancon se souvient des entraînements atypiques qu'il mettait au point avec Naman Keïta, médaillé de bronze aux Jeux d'Athènes en 2004 sur le 400m haies : "Tous les soirs, on attendait dans le stade que le jour tombe. Et une fois qu'il faisait nuit, il mangeait un petit sandwich et on commençait l'entraînement. C'était la formule que l'on s'était fixée".

Certains sportifs voient même dans le ramadan la solution idoine pour perdre du poids en vue d'une compétition, fait remarquer Thierry Blancon. Le jeûne peut donc être plus facile à appréhender en plein milieu d'un tournoi que lors d'une fenêtre d'entraînement intensif où la densité du travail foncier rend la récupération plus laborieuse. En parallèle, les grandes instances du sport prennent elles aussi des dispositions pour veiller au confort des athlètes musulmans. Dans le championnat anglais de football, les arbitres ont reçu pour consigne d'autoriser les joueurs qui le souhaitent à rompre le jeûne lors des matchs en soirée. Ils auront alors la possibilité de s'alimenter lors des arrêts de jeu.