Violences scolaires : un mal qui avance souvent masqué

© PHILIPPE DESMAZES / AFP
  • Copié
, modifié à
Violences verbales, physiques, vols et vandalisme restent des réalités bien vivantes pour bon nombre d’enfants. Mais elles ne sont pas toujours faciles à repérer.

Un collégien sur cinq a déjà subi des violences physiques à l’école, et 40% se plaignent de moqueries et d'insultes. C’est ce qui ressort d’une étude de l'Association de la Fondation étudiante pour la ville, dévoilée ce mercredi par Le Parisien. Le phénomène n’est pas nouveau : en 2014 et 2015, déjà, la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) dénombrait plus de 12 incidents "graves" pour 1.000 élèves chaque année dans les collèges et lycées de France. Les violences verbales à répétition représentent 41 % de ces incidents, les physiques 30 %, les vols et le vandalisme 8 %. 

"Ces chiffres sont probablement très en deçà de la réalité", s’inquiète Héléne Romano, psychologue et auteur de Harcèlement en milieu scolaire : Victimes, auteurs : que faire ?, interrogée par Europe 1. "Tous les enfants n’en parlent pas. Pour en parler, il ne faut pas avoir peur, ni honte. Il faut avoir confiance en l’adulte. Or, on entend encore beaucoup trop de situations où l’enfant s’est entendu dire ‘tu es au collège maintenant,  tu n’es plus un bébé’. De telles phrases n’incitent pas vraiment l’enfant à se confier. Et l’enfant risque ensuite de se construire une identité autour de son statut de victime, de trouver ça normal", poursuit la spécialiste.

ETAPE 1 : REPERER LES VIOLENCES

Face au mutisme d’un enfant ou d’un adolescent victime de violence, comment agir ? Tout d’abord, il faut apprendre à repérer la violence, à savoir si l’enfant en a été victime. Des troubles psychosomatiques, comme des maux de tête, de ventre, des troubles de l’alimentation ou du sommeil peuvent être évocateurs. Mais s’ils sont souvent le signe d’un trouble profond, ces symptômes ne sont pas spécifiques à la violence scolaire. D’autres, en revanche, le sont.

"Dans 100% des cas, par exemple, il y a des signes matériels", explique Héléne Romano. Un cahier mouillé, de l’encre sur les vêtements, une gomme lacérée, une trousse déchiquetée ou perdue… "Les bleus, les blessures et les hématomes sont très rares. Une petite balayette ou une claque, ça ne laisse pas de traces. En revanche, l’enfant est souvent attaqué dans ce qui fait son identité d’élève, c’est-à-dire son matériel scolaire. Et dans ces cas-là, le risque est que le parent se contente dire : ‘mon enfant est négligé’", prévient la spécialiste.

Autre sorte de signe qui trompe rarement : les élèves victimes de violence mettent souvent en place des "stratégies d’évitement" du temps scolaire. L’enfant va boycotter la cantine, le bus scolaire, demander à n’arriver qu’au moment où les grilles se ferment, passer ses temps de récréation au CDI (centre de documentation et d’information), se ranger en tête des rangs au moment de rentrer en classe ou toujours rester près des sorties, au cas où il devrait fuir. "Ils vont tout faire pour éviter de croiser leurs agresseurs et pour rester près d’un adulte", ajoute Héléne Romano.

ETAPE 2 : INCITER L’ENFANT A SE CONFIER

Mais repérer une victime de violence ne suffit pas à résoudre un problème. Encore faut-il parvenir à en parler à votre enfant ou votre élève, selon que vous êtes parent ou professionnel de l’Education nationale. "C’est un cas commun aux victimes de violence : elles refusent de se plaindre. C’est pourquoi il vaut mieux éviter les questions fermées, celles où l’on ne peut répondre que par ‘oui’ ou par ‘non’. A la question ‘ça va à l’école ?’, l’enfant répondra souvent ‘oui’. A la question ‘tu te fais harceler ?’, il répondra souvent ‘non’. Il vaut, donc, mieux privilégier les questions ouvertes", développe Hélène Romano.

" Si l’enfant sent que vous êtes stressé, il va vous répondre ce que vous avez envie d’entendre, il va essayer de vous rassurer "

Et la spécialiste d’enchaîner : "Si l’enfant sent que vous êtes stressé, il va vous répondre ce que vous avez envie d’entendre, il va essayer de vous rassurer. Il ne faut pas lui parler de lui mais plutôt essayer d’avoir son sentiment sur le collège en général, en lui disant par exemple : ‘Comment ça se passe au collège ? J’ai entendu dire qu’il y avait parfois des violences’. Ensuite, vous pouvez en arriver à lui : ‘et toi, comment ça se passe ?’. Et s’il continue à nier, parlez-lui de votre sentiment personnel, à vous, pas à lui : ‘moi, j’ai l’impression personnellement que ça ne va pas pour toi. Si tout va bien, tant mieux, mais si tu veux en parler, tu sais que tu peux me faire confiance, je serai toujours là pour toi’".

A proscrire, également, les remarques du type "pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt", afin de ne pas culpabiliser l’enfant ou l’adolescent.

ETAPE 3 : TENTER DE RÉSOUDRE LE PROBLÈME

S’il finit par reconnaître qu’il a été victime de violence, il est alors "indispensable de le valoriser, de lui dire qu’il a eu raison de se confier car la situation qu’il vit est effectivement insupportable et de l’encourager sur ses points forts (résultats scolaires, sportifs ou autre) afin qu’il gagne confiance en lui", complète la psychologue. "Vous pouvez aussi l’inscrire dans des cours d’art martiaux, lui conseiller des stratégies, pour éviter les agresseurs par exemple, ou encore lui dire, sans nier le caractère grave des faits, que cette année est un moment difficile à passer, et que ça ira mieux plus tard. Les années de 4e et de 3e sont les plus difficiles par exemple, et vous pouvez le lui dire et lui dire que ça ira mieux au lycée", enchaîne Hélène Romano.

Les spécialistes insistent aussi sur un point : n’essayer pas de résoudre le problème tout seul, que vous soyez parent, enseignant ou simple témoin d’un acte de violence. Délégué de parents d’élèves, professeur principal, directeur de l’établissement, psychologue ou pédopsychiatre… N’hésitez pas à multiplier les interlocuteurs susceptibles de vous venir en aide, ne serait-ce que pour trouver une solution commune à un problème susceptible de toucher plusieurs enfants.

"Le harcèlement est souvent constitué de petits incidents qu’il est utile de mettre par écrit afin de mieux cerner la situation. Notez la date, l’heure, les personnes présentes, la description des faits, leur répétition, les réactions de votre enfant face à cette situation. Gardez aussi les preuves éventuelles du harcèlement subi, notamment sur les médias sociaux (capture d’écran…)", conseille enfin le site mis à disposition par le ministère de l’Education, Nonauharcelement.education.gouv.fr. Ce dernier recense par ailleurs les conseils à adopter en cas de violence scolaire, selon que l’on soit victime, parent, témoin ou professionnel. Le ministère met également à disposition un numéro vert : le 30 20 (ou le 0800 200 000 s’il s’agit d’un harcèlement sur internet).