Vin rouge, "Tchoutchou" et chalumeau : l'incroyable récit du "casse du siècle"

Les malfaiteurs avaient creusé un tunnel depuis les égouts (photo d'archives).
Les malfaiteurs avaient creusé un tunnel depuis les égouts (photo d'archives). © AFP
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À l'été 1976, la Société Générale de Nice était le théâtre d'un cambriolage digne des meilleurs scénarios policiers, dont le cerveau présumé est jugé à Marseille, lundi.

En 1976, la presse évoque l'oeuvre du "gang des égoutiers". Plus de quarante ans plus tard, le cambriolage de la Société Générale de Nice est entré dans la postérité, affublé du surnom de "casse du siècle". Réalisée sans arme ni violence, l'opération de pillage aura duré tout un week-end, au nez et à la barbe des forces de l'ordre. Alors que Jacques Cassandri, cerveau présumé du vol, est jugé lundi pour le blanchiment présumé du butin, Europe1.fr retrace cette incroyable histoire.

Égouts et lances thermiques. Cassandri, surnommé "Amigo", n'est pas un novice. Dans La vérité sur le casse de Nice (Ed. Broché, 2010), le malfrat raconte le "brouillon" du vol parfait : quelques années plus tôt, également par les égouts, l'homme a tenté de pénétrer dans une Poste parisienne grâce des lances thermiques, volées à une entreprise de travaux sous-marins. L'opération a échoué, le dégagement de fumée occasionné ayant alerté les pompiers, rapporte l'Obs.

Mais l'idée est là. Début 1976, déguisés en employés de la ville de Nice, "Amigo" et un complice explorent les souterrains de la ville en gilet jaune, jusqu'à trouver celui qui mène aux abords de l'immense Société Générale. Le chemin identifié, une équipe de "professionnels" du genre est constituée. Il y a "le fou", prêt à prendre tous les risques, "mèche", qui n'a plus qu'une petite touffe de cheveux sur le crâne", "poupon", le plus petit des voleurs, dont les empreintes de pas feront longtemps croire aux enquêteurs qu'une femme est impliquée dans le dossier… Mais aussi "tchoutchou", "le gros" et "l'arménien", entre autres.

"Plus d'une fois, on a bu la tasse". Pendant trois mois, la bande creuse, branchée sur l'électricité d'un parking voisin. "Amigo" a retenu les leçons de la Poste : aucun appareil bruyant n'est employé. À la pioche, un tunnel de 8 mètres de long, 80 cm de large et 1,30 m de haut voit petit à petit le jour. Les jours de grande pluie, le niveau de l'eau dans les égouts empêche l'avancement des travaux. "Plus d'une fois, on a bu la tasse", écrira Jacques Cassandri.

Le jour J, un samedi, les malfrats transportent tranquillement une trentaine de bonbonnes d'acétylène à bord d'une camionnette, empruntant une voie souterraine réservée à la voirie. Ils effectuent les derniers 400 mètres à bord de canots pneumatiques puis atteignent le boyau qu'ils ont eux-mêmes creusé. Au millimètre près, ce dernier arrive exactement au niveau du coffre de 5 tonnes par lequel ils pénétreront dans la salle. "Une erreur, même minime", aurait fait échouer ce travail", souffler le commissaire principal de la police judiciaire de Nice, Jacques Besson.

Bouteilles de vin et cigarettes. L'équipe comporte des spécialistes du "dessoudage", qui découpent les coffres au chalumeau. D'autres, maçons, ont anticipé la fuite en cimentant les parois du tunnel, pour faciliter le passage du butin. Dans le sous-sol de la banque, les voleurs ne laissent aucune empreinte. Pourtant, ils prennent leurs aises pendant deux jours, à quelques centaines de mètres de la Sûreté urbaine niçoise. Sur place, les enquêteurs retrouveront des restes de repas, des bouteilles de vin et des paquets de cigarettes encore pleins. Sur un mur, un message des cambrioleurs : "ni coup de feu, ni violence, ni haine", a été repassé par chacun des hommes à la craie, afin qu'aucune analyse graphologique ne permette une éventuelle identification. Quelques photos pornographiques sont également punaisées dans la salle des coffres.

"Je suis intervenu avec beaucoup d'insistance auprès de mes compagnons afin que nous ne soyons pas accusés de vandalisme", écrira "Amigo", qui a notamment imposé aux voleurs de faire leurs besoins dans les égouts et pas dans la banque.  En un week-end, près de 200 coffres sont vidés. Montant du butin : 46 millions de francs, d'argent liquide, de lingots et autres bijoux. Le vol n'est découvert que le lundi, par des employés de banque stupéfaits. "Ils n'avaient pas estimé utile d'installer un système d'alarme, eu égard au blindage extrêmement épais et à la sécurité qu'ils estimaient remarquable de leur salle des coffres", reconnaîtra le commissaire Besson. C'est en réalisant qu'ils ne peuvent plus entrer dans la pièce que les salariés s'inquiètent : avant de partir, les gangsters ont soudé la porte de l'intérieur, au chalumeau.

ARCHIVES - Quand Jacques Cassandri, le "cerveau" du Casse du siècle, témoignait sur Europe 1 : 

Le butin jamais retrouvé

Si les faits sont aujourd'hui prescrits, le fameux butin n'a jamais été retrouvé, et le blanchiment de fonds résultant de celui-ci peut encore être jugé. Cassandri, déjà condamné pour trafic de drogue, proxénétisme ou extorsion, aurait utilisé l'argent pour financer sa carrière criminelle et de multiples investissements dans des appartements et une discothèque, entre autres. C'est in extremis que la justice a pu rattraper l'homme de 73 ans, après la parution de son livre, dans lequel il s'autoproclame cerveau du "casse du siècle".