Son fils est parti un matin, mais n’est jamais revenu : "Pour moi, il est vivant"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Armelle a vu son fils, Grégory, pour la dernière fois le 30 mai 2011, avant qu’il ne parte à travailler. Depuis, elle reste sans nouvelles. Elle hébergeait son fils depuis six mois après une rupture amoureuse difficile. Armelle confie à Olivier Delacroix penser que Grégory est toujours vivant.
TÉMOIGNAGE

Le matin du 30 mai 2011, Grégory a quitté le domicile de sa mère, Armelle, à Meaux et est parti à Paris pour travailler. Mais il n’est jamais revenu. Depuis sa séparation amoureuse, six mois plus tôt, Grégory était dépressif et était hébergé par sa mère. À la suite de sa disparition, cette dernière a découvert qu’il ne travaillait en réalité plus depuis trois mois. Ne croyant pas à la thèse du suicide, elle a alors arrêté de travailler pour se consacrer aux recherches de son fils. Armelle raconte à Olivier Delacroix l’histoire de la disparition de son fils. 

Armelle se souvient des circonstances dans lesquelles Grégory a disparu : "Le téléphone de Grégory a émis pour la dernière fois au mois d'août 2011 à la gare de l’Est. Il a disparu le 30 mai 2011. Il est parti de chez moi pour aller travailler. Depuis, plus de nouvelles. Je suis allée au commissariat. J’ai déposé des photos. Je suis allée voir les pompiers, la sécurité, les pharmacies, les journaux… Ce n'est pas moi qui ai refusé de placarder sa photo, ce sont les autorités. 

Elles m'ont dit qu'il ne fallait pas qu'elle soit placardée parce qu’il y a des personnes qui ne veulent pas être retrouvées et qu'on les reconnaisse. J'ai beaucoup de mal à revenir à Paris parce que je scrute les gens. Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'on ne le retrouve pas. Tous les soirs, je me demande où il dort. Moi, je dors dans un lit, j’ai mon confort, mais lui ? Où est-il ? Que fait-il ? Pour moi, il est vivant. Je l'espère de tout cœur. 

" Depuis sa séparation, il était dépressif "

J’ai été très bien reçue au commissariat. J'avais peur qu'on me prenne pour une mère abusive qui vient parce que son ‘fifils’ n'est pas rentré de la nuit. J’ai vraiment senti que j'étais prise en considération. Ils m’ont tout de suite prise au sérieux. Ils m'ont demandé s’il avait l'habitude de partir comme ça, comment il était au moment de son départ et s’il était dépressif. J’ai répondu que oui et tout de suite, ils ont dit qu’ils allaient voir s'il était visible sur les caméras de Meaux. Ils ne l'ont vu nulle part, pas même à la gare. 

Au départ, je pensais à un suicide, parce qu’il était très mal. Depuis sa séparation, il était dépressif. Il sortait d'une rupture après une relation de sept ans. Il a 35 ans. Il a ses affaires, c’est son intimité. J'ai dû me faire violence pour fouiller dans ses affaires et ses dossiers, parce que pour moi, ça ne se fait pas. J’y suis allée et j'ai découvert que ça faisait trois mois qu’il ne travaillait plus. Je me suis aperçu qu'il avait le solde de tout compte de son ancien employeur et rien d'autre. 

Il travaillait à Paris. Il partait tous les matins et il revenait le soir. Je lui faisais confiance. C'est très troublant. Je n'ai jamais eu un tempérament dépressif, mais je sombre. Tout le monde me dit de tenir. J'ai deux filles et trois petits-enfants. De temps en temps, on se met une grande claque et on se dit qu’il faut y aller parce qu’il y a les autres aussi. Et puis, s'il revient, il faut que je sois là et que je sois forte. Il me manque."

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Pour l’aider dans ses recherches, Armelle s’est tournée vers une association, Assistance et Recherche de Personnes disparues (ARPD). Son président explique leurs démarches : "Les familles ont pratiquement toutes le sentiment d’être abandonnées par les autorités. Les services de police et de gendarmerie font un travail extraordinaire, sauf qu'ils n'ont pas qu'un dossier à traiter. Pour certaines choses, ils sont obligés de demander au parquet ou au procureur, et il y a des commissions rogatoires. Ça prend du temps. Pour la famille, ça ne va jamais assez vite. 

Grégory a 35 ans. Tout laisse donc penser à une disparition inquiétante. Au départ, il a été inscrit au fichier des personnes recherchées en disparition inquiétante. C'est devenu une RIF, une recherche dans l'intérêt des familles. Ça n'a plus du tout la même importance vis à vis des autorités. Une disparition inquiétante n'a pas la même valeur qu'une recherche dans l’intérêt des familles. Je trouve anormal qu’il n’y ait pas davantage de moyens mis en œuvre sur ce dossier. 

L’association a fait toutes les démarches possibles et inimaginables pour essayer de faire avancer les choses. Comme un pêcheur à la ligne, on a lancé une ligne dans les associations d'aide à la précarité, les hôpitaux, les commissariats, les gendarmeries, partout. On attend et aucune information ne remonte. Donc, on peut se poser des questions. Pour moi, c'est une situation de blocage. J’attends qu'on ait des témoignages qui nous permettent de rebondir et de repartir. Actuellement, on est dans une impasse." 

" Jamais je n'aurais pensé qu'un jour il puisse disparaître sans donner de nouvelles "

Ne supportant plus de vivre chez elle, Armelle a pris la décision de déménager pour se rapprocher de sa famille : "Je ne supportais plus de rester seule dans mon appartement. Je ne pouvais même plus aller dans sa chambre. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui ai déménagé sa chambre et ses affaires. C’est ma sœur et ma nièce. Le soir, c'était l'horreur. Dans la nouvelle maison, sa chambre est prête. Une partie de moi voulait déménager, une autre partie voulait rester pour l'attendre. La famille est là. Il a mon téléphone.

Grégory, reviens, on t’attend, on t'aime. Tout le monde t'attend. Il ne faut pas qu'il ait de retenue pour revenir. Qu’il vienne, il n'y a aucun souci. Je ne lui ai jamais fait sentir qu’il était à ma charge, mais au fond de lui, je pense qu’il le croyait. Je ne sais pas si on connait bien ses enfants. Jamais je n'aurais pensé qu'un jour il puisse disparaître sans donner de nouvelles. Sachant que je suis très proche de mes enfants, s'il est parti de lui-même, j'ai beaucoup de mal à comprendre sa réaction."

" Je ne sais pas s’il reviendra "

Après sa rupture amoureuse, Grégory a également été hébergé par son cousin Julien, du même âge que lui. Julien confie ne pas être étonné par la disparition de son cousin : "Je n'ai pas été surpris parce qu'il avait eu plusieurs échecs. Il n’était jamais allé jusqu’à la disparition, mais ça ne m'a pas surpris outre mesure. C’est la pression de la famille et de la société. Il se sentait à part. On a partagé beaucoup de choses ensemble. Pour moi, il est vivant. Peut-être que je l'espère aussi.

Je ne suis pas sûr que j’aurai des nouvelles un jour, parce que plus on attend, plus la pression est grande et plus le regard des autres s'accentue sur notre égoïsme. Plus on attend, pire c’est. Donc, je ne sais pas s’il reviendra. On a envie de se faire oublier et d'être tranquille. C'est dur pour sa maman, mais s'il est plus heureux, qu’il reste comme ça." Contrairement à Julien, Armelle ne croit pas que Grégory ait pu ressentir une pression familiale : "Le principal pour moi, c'est que mes enfants soient heureux. Ce qu'ils font, c'est leur choix. Il disait toujours : ‘Je m'en sortirai seul, je réussirai.’"