Sécheresse hivernale : une pénurie d'eau est-elle à craindre en France cet été ?

La sécheresse hivernale, particulièrement visible sur la Loire dont le niveau est anormalement bas pour la saison.
La sécheresse hivernale, particulièrement visible sur la Loire dont le niveau est anormalement bas pour la saison. © Jean-Michel Delage / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Romain Rouillard
Alors que la France vient d'enregistrer son mois de février le plus sec depuis 1959, des questions se posent quant à la disponibilité des ressources en eau au cours de l'été prochain. Néanmoins, à en croire certains spécialistes, il est encore trop tôt pour adhérer aux hypothèses les plus pessimistes.
DÉCRYPTAGE

Si l'on peut naturellement se réjouir d'avoir pu profiter d'un hiver largement ensoleillé, l'important déficit pluviométrique, enregistré au mois de février assombrit considérablement le tableau. Le 22 février dernier, Météo France annonçait même la plus longue sécheresse jamais enregistrée avec 32 jours consécutifs sans la moindre pluie significative sur l'Hexagone. Au point que le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a appelé les préfets, en début de semaine dernière, à prendre des arrêtés de restrictions d'eau "dès maintenant", ajoutant que "l'humidité des sols est par endroits comparable à la fin d'un mois de mai". Alors que l'été 2022 avait déjà été marqué par une sécheresse inédite, certains spécialistes nourrissent des inquiétudes quant à la disponibilité des ressources en eau lors de la prochaine saison estivale. 

Des tensions liées au partage de l'eau ? 

D'ordinaire régénérées au cours de l'hiver, les nappes phréatiques affichent un taux de remplissage bien trop bas pour la saison. Or il est bien plus difficile pour l'eau de pluie d'y pénétrer lorsque la végétation reprend ses droits car elle est davantage retenue dans les sols par les racines des arbres. En cas de nouvel épisode de sécheresse l'été prochain, la situation deviendrait alors assez critique. "Je pense que des grandes villes pourront avoir des difficultés ponctuelles d'alimentation en eau potable. De nombreuses communes rurales de Bretagne, du Massif central ou des arrière-pays niçois ou varois seront également touchées", prévoit Alexandre Brun, géographe, urbaniste et maître de conférences à l'Université Paul-Valéry de Montpellier. 

Une réalité qui pourrait conduire à des tensions liées au partage de l'eau. "La Bretagne, par exemple, dépend surtout des eaux de surface. Donc on pourrait tirer sur le tuyau pour utiliser l'eau du voisin, le Bassin parisien notamment. Mais le voisin en question risque de ne pas être très coopératif. Donc concrètement, on pourrait voir des tensions entre villes et campagnes", analyse le spécialiste. Si cette sécheresse se poursuit l'été prochain, elle pourrait aussi entraver la circulation fluviale en raison du manque de profondeur dans les cours d'eau dont l'alimentation dépend des nappes phréatiques. "On aura donc un report vers la route, pour un bilan environnemental bien plus mauvais. Cela pourrait aussi entraîner des retards d'acheminement pour certains matériaux", fait remarquer Alexandre Brun. 

Trop tôt pour prévoir "l'apocalypse"

Néanmoins, de l'avis de plusieurs spécialistes, il est encore trop tôt pour se risquer à de telles prédictions. "Il y a un déficit de pluviométrie, c'est indéniable. Maintenant, il est très difficile de faire une prévision quantitative de la pluie au-delà de 15 jours", nuance Vazken Andréassian, hydrologue et directeur de recherche à l'INRAE. Selon lui, si la situation est mal embarquée, il n'est pas exclu que la donne puisse encore changer. "C'est un peu comme quand vous prenez deux buts dans les cinq premières minutes lors d'un match de foot. Techniquement, vous pouvez encore gagner le match mais vous n'êtes pas dans les meilleures conditions pour le faire." 

En clair, si le pays venait à connaître d'abondantes précipitations dans les semaines à venir, l'été pourrait être envisagé sous de meilleures auspices. "En 2021, l’été était très humide dans pas mal de régions de France notamment dans le Nord de la France", rappelle Vazken Andréassian. Le spécialiste n'accorde donc que peu de crédit aux hypothèses les plus alarmistes. "Par ailleurs, on parle beaucoup des nappes phréatiques mais la 'nappe France' n'existe pas. Il y a beaucoup de situations locales assez différentes. Il y a aussi le fait qu'il pleuvra certainement davantage dans certains endroits que dans d'autres. Il existe aussi des lieux où la nappe a une inertie plus importante. Bref, prévoir l'apocalypse pour tout le terrain ne me semble pas sérieux". 

Reste que le taux de remplissage des nappes phréatiques demeure l'indicateur privilégié par les préfets pour prendre des mesures de restriction d'eau au cours de l'été. "C'est cet indicateur, qui par ailleurs n'est pas si mauvais, qui détermine si vous aurez le droit de remplir votre piscine ou de laver votre voiture", rappelle l'expert. Autrement dit, en cas de sécheresse cet été, l'ensemble des Français en subirait des répercussions. Et ce même si la sécheresse n'atteint pas les seuils les plus critiques.