Se blanchir la peau, une pratique répandue mais dangereuse

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Justin Morin et Thibauld Mathieu
Une campagne de sensibilisation dénonce les dangers de la dépigmentation volontaire de la peau. Une pratique culturelle très utilisée par les hommes et les femmes issus d'Afrique subsaharienne, mais aussi d'Asie. Et souvent taboue.

Sur son téléphone, Aminata*, 30 ans, en garde un souvenir amer : une photo d'elle avant, à l'époque où elle dépensait une centaine d'euros par mois pour se blanchir la peau. "Vous voyez, on a l'impression qu'on est super clair mais en fait non. J'étais jaune, comme les Simpson", commente-t-elle aujourd'hui avec regret. En Île-de-France, ce culte de la beauté pousserait une femme sur cinq issue de l'Afrique subsaharienne à utiliser des produits dépigmentants, d'après l'association Esprit d'Ebène, qui vient de lancer une campagne de sensibilisation sur le sujet.

Une pratique addictive aux effets dévastateurs. Crèmes, gels, laits corporels ou savons, seuls ou en association… Aminata s'en est appliquée sur tout le corps pendant neuf ans. Un choix esthétique avant tout, assure la jeune femme. "J'ai commencé à utiliser les produits de dépigmentation pour unifier mon teint, parce que j'avais des parties de mon corps plus claires que d'autres", raconte-t-elle au micro d'Europe 1. Au début, les effets sont ceux escomptés. Aminata a le teint uniforme ; elle ne voit donc aucune raison d'arrêter.

" "On est pris dans un engrenage. C'est comme une drogue" "

"Mais au fur et à mesure, on commence à avoir des taches noires autour des yeux, les phalanges des doigts et des pieds un peu plus sombres, les genoux et les coudes aussi. On commence aussi à avoir aussi de grosses vergetures, des varices…", décrit-elle. Les signaux sont alarmants. Pas assez, néanmoins, pour créer le déclic. "On est pris dans un engrenage. C'est comme une drogue : on se dit 'si j'arrête, comment je vais devenir ? Je ne vais pas m'apprécier'".

Des mélanges décapants. Et les mélanges les plus puissants, parfois coupés à l'eau de Javel, sont encore plus dévastateurs. "Là, en une semaine, on voit des grosses couches de peau qui tombent. Au niveau des pieds, quand c'est parti, ça m'a fait peur. C'était comme si on épluchait une pomme de terre… Avec le recul je me demande ce qui m'est passé par la tête."

Des effets nocifs cutanés sont ainsi rapportés dans 60% à 70% des cas. Gale, mycoses, infections bactériennes, acné très sévère : la liste des complications est longue. Dans de plus rares cas, les produits de dépigmentation  peuvent aussi causer diabète, hypertension, insuffisance rénale ou cancers. Dans certains pays, le blanchiment de la peau est même devenu un vrai problème de santé publique.

Une pratique répandue en Afrique, en Asie... Parmi les régions francophones les plus touchées par le phénomène, on compte notamment le Togo – 59% des femmes utilisent régulièrement des produits éclaircissants, selon le dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) -, le Sénégal (27%) et le Mali (environ 25%, toujours selon l’OMS), tandis que les Antilles françaises seraient relativement épargnées.

Le continent africain n'est pourtant pas le seul concerné par la dépigmentation volontaire. En Asie, par exemple, et plus particulièrement en Inde, la pratique est très répandue, notamment chez les hommes. Selon France 24, "le marché [mondial] de la cosmétique a gonflé de 40% ces dernières années, avec une crème éclaircissante (Fair & Handsome) en première place".

… Qui existe aussi en France. Et ces produits se trouvent aussi en France, dans les magasins exotiques de beauté, sous le manteau ou même sur les réseaux sociaux. Plus de 150 produits interdits ont déjà été recensés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). "Et pourtant ils sont là", déplore au micro d'Europe 1 Mams Yaffa, l'un des fondateurs de l'association Esprit d'Ebène, qui lutte depuis sept ans contre ce fléau.

" Le culte de la blancheur mène à ce qu'il y ait des produits avec de l'eau de Javel, du verre pilé, des grains de ciment… "

"Il y a déjà des molécules interdites, donc dangereuses, comme le mercure ou l'hydroquinone. Mais aujourd'hui, le fabricant répond à une demande forte : les consommateurs veulent blanchir vite. Et donc, la solution, c'est le surdosage, avec des méthodes et des techniques qui font fi de la problématique de santé. C'est le culte de la blancheur qui mène à ce qu'il y ait des produits avec de l'eau de Javel, du verre pilé, des grains de ciment, ou de l'hydroquinone à hauteur de 3% quand ça ne devrait pas dépasser 0,02%", détaille ce Franco-Malien né en Mauritanie.

"D'autres phénomènes encore plus graves sont en train d'arriver", avertit-il. "On parle de produits injectés soit par des seringues, soit par intraveineuse, notamment le fameux glutathion, qui est en train de faire des ravages. On utilise aussi des pilules, des lotions... C'est terrible."

"Même si on se ment à nous-mêmes, c'est dans les mœurs". Outre un problème de santé publique, la pratique pose d'autres questions plus sociétales. Traumatisme postcolonial, statut socio-économique, atout de séduction, influence de l'entourage, de la mode, de la publicité… La dépigmentation volontaire de la peau a de multiples racines, parfois très anciennes. "Même si on se ment à nous-mêmes,  c'est dans les mœurs. Chez nous, dans la communauté africaine ou subsaharienne, la femme claire est plus agréable à regarder et plus jolie. C'est ce que je pensais avant en tout cas", explique Aminata, deux ans après avoir arrêté de se blanchir la peau.

Un business qui rapporte. Certaines stars comme Michael Jackson, le chanteur jamaïcain de dancehall Vybz Kartel, le joueur de baseball Sammy Sosa ou la rappeuse Lil Kim deviennent ainsi un modèle à suivre pour de nombreux consommateurs.  D'autres, comme la chanteuse camerounaise Dencia, se mutent même en égérie de produits éclaircissants. Car le business du blanchiment de la peau se chiffre en milliards, et les usines pullulent en Chine, en Inde, au Nigéria, en Côte d'Ivoire ou en Afrique du Sud.

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© Montage/AFP

 

De plus en plus de voix s'élèvent. Depuis quelques années, un mouvement inverse est cependant en train d'opérer : de plus en plus nombreux sont ceux à se mobiliser contre ces produits afin de combattre le stéréotype selon lequel les peaux blanches seraient plus belles. L’association Women of Worth a notamment lancé la campagne "Dark is beautiful" en 2009, pour promouvoir la beauté des peaux foncées. 

Sur les réseaux sociaux, un nombre croissant de hasthags fleurit également : #IWillNotApologizeForBeingDarkSkin, #FlexinMyComplexion, #MelaninPoppin… "De plus en plus chanteurs africains remettent en avant des filles naturelles, quand ils ne montraient auparavant que des filles au teint clair, voire dépigmentées", observe aussi Mams Yaffa, qui souligne l'importance de ne pas stigmatiser les utilisateurs de produits blanchissants.

"Apprenez à vous aimer". Grâce à une série de partenariats, son association est ainsi parvenue à s’offrir fin décembre une campagne de sensibilisation dans une quarantaine de stations de RER et métros parisiens. "En 2009, la mairie de Paris avait également fait campagne sur la dépigmentation de la peau, mais c’était très stigmatisant. Nous, notre campagne, elle dit 'prenez conscience de ce que vous êtes et apprenez à vous aimer'", présente le fondateur de l'association. Une Indienne, une Maghrébine, une Asiatique et un Africain s'affichent ainsi en grand sur les murs de la RATP, avec ce slogan : "Votre peau est précieuse, ne la détruisez pas". Avant qu'en février, la campagne ne soit étendue à toute l'Île-de-France.

Aminata, elle, a visiblement compris le message. Si elle a mis un an à retrouver sa peau naturelle, elle dit aujourd'hui se trouver "belle". Et d'avouer : "Maintenant, quand il fait beau à Paris, je fais tout pour bronzer".

*le prénom a été changé à sa demande

 

En Thaïlande, la mode du blanchiment de pénis

En Thaïlande, l’obsession de la peau blanche ne date pas d'hier. Mais une nouvelle mode semble dernièrement avoir conquis le pays. Un clip vidéo filmé dans une salle d’hôpital près de Bangkok et posté sur Facebook début janvier montre ainsi un homme en train de se faire blanchir le pénis au laser. Le clip a fait fureur sur les réseaux sociaux. Et selon l'établissement, une centaine de patients s'y presse chaque mois pour se faire opérer. Au prix, souvent, d'effets secondaires telles que des inflammations ou l'apparition de tâches.