Sa mère lui a fait payer le décès de son père : "Je suis considéré comme l’enfant du mal"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Le père d’Antoine est brutalement décédé trois jours après sa naissance. Pendant sa petite enfance, Antoine a été maltraité par sa mère et son frère qui lui imputaient ce décès. Au micro d’Olivier Delacroix, il retrace son enfance violente, son placement en foyer, ses tentatives de suicide et les séquelles qu’il en garde.
TÉMOIGNAGE

Trois jours après la naissance d’Antoine, son père est accidentellement décédé. Sa mère et son frère aîné lui ont fait payer ce drame. Maltraité, Antoine a alors été placé dans un foyer à quatre ans et demi. Il raconte y avoir été aimé par les éducateurs. Mais huit ans plus tard, Antoine a été changé de foyer, puis placé en familles d’accueil. À cette époque, Antoine a fait plusieurs tentatives de suicide, jusqu’à ce qu’il découvre l’œnologie à 18 ans et rencontre Isabelle, son épouse, à 25 ans. Il raconte son enfance douloureuse et sa reconstruction à Olivier Delacroix. 

Antoine revient sur les circonstances dans lesquelles il est né : "À partir du 27 février 1972, mon destin a changé, puisque j'ai changé de prénom. Le jour de ma naissance, le 24 février 1972, j’ai été appelé Éric. C’est écrit sur mon extrait de naissance. Mon papa est décédé le 27 et on m'a rebaptisé Antonio. On m'a donné son prénom. Je suis considéré comme l’enfant du mal qui apporte le malheur dans la famille. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs heureux. Je garde un souvenir drôle et douloureux : quand j'avais quatre ans, on me désinfectait la bouche et le visage à l'ail cru le soir. Il semblerait que l’ail chasse les démons.

Ma mère et mon frère ont détruit un individu. Il n'y a pas eu de construction possible. Dans la violence et dans la haine, nul individu ne peut se construire. Pendant des années, j’ai encaissé des coups, subi des violences de toutes sortes, subi la haine. Je mangeais debout dans un évier, alors que tout le monde était assis à table. Je me suis écroulé d’épuisement au pied de l'évier et personne ne comprenait pourquoi. C'est l'aide sociale à l'enfance qui a réagi. À quatre ans, on me laissait devant la porte de la crèche, été comme hiver. Ça les a alertés. 

" Ma vraie famille, ce sont les éducateurs "

J’ai été placé au foyer Adolphe Chérioux, à Vitry-sur-Seine, en septembre 1977. C’était le bonheur qui commençait. J’avais quatre ans et demi. Je me souviens de tout. J'ai compris que je passais à autre chose. Un éducateur est venu me voir et m’a dit ‘Tu sais que demain, c'est la rentrée des classes. Sais-tu faire tes lacets ?’ J’ai répondu que non. On a passé la nuit à apprendre à faire des lacets. J'en garde un souvenir magnifique. Ma vraie famille, ce sont les éducateurs d’Adolphe Chérioux. Encore aujourd'hui, je leur rends grâce. Merci de m'avoir aimé comme ça. L'amour que j'ai reçu chez vous pendant huit ans, je l'ai pris.

On nous apprenait à travailler. On avait des ateliers de blanchisserie et de cordonnerie. On était totalement pris en charge par des éducateurs et des éducatrices qui nous prenaient dans leurs bras, nous embrassaient et nous aimaient. C'étaient nos parents. Je me dis que peut-être quelqu'un va me dire : ‘On te confie le foyer et tu vas t'en occuper.’ J'abandonne tout et je viens m'occuper de ces gamins, parce que tout est là. Tout ce que je suis aujourd'hui est là. Il y a une histoire. J'ai l'impression que ces murs me parlent. Ils me disent : ‘Bravo p’tit gars !’

Je continuais à voir ma mère épisodiquement. C’était une volonté de la DDASS. C'était une catastrophe, parce que je continuais à manger debout dans l'évier de la cuisine. Le peu de fois où je parlais, je m'en prenais une. À sept ou huit ans, j’étais en pyjama et je voulais aller me coucher, je me suis retrouvé au pied d'un radiateur avec un poignard sous la gorge, parce que mon frère n'avait pas apprécié que mon dessert soit différent du sien. C'est lourd. Ça marque une existence. Ce qui m'a encore plus marqué, c'est la violence non manifestée de ma mère ce jour-là, qui n'a pas réagi."

" C’est l’image d'un homme écorché vif "

Après une période difficile, due à son changement de foyer, et plusieurs tentatives de suicide, Antoine a fait la rencontre d’Isabelle, son épouse. Elle se souvient de leur rencontre : "Le premier soir, on est allés au cinéma et au restaurant, puis il m’a raccompagnée en bas de chez moi. Finalement, au lieu de remonter à la maison, on est restés discuter jusqu'à 6 heures du matin dans la voiture. Il m'a raconté une partie de son histoire, sa mère, son placement, ses difficultés avec son frère…

Le premier soir, j'ai eu l'impression qu'il me disait tout, même si on ne peut pas tout dire en quelques heures. Après, j'ai découvert qu'en réalité, je ne savais rien. J'en découvre encore aujourd'hui. J’ai senti un océan à remplir. Je me souviens avoir pensé très vite : ‘Tu as été abandonné de multiples fois. Moi, j'ai envie de te montrer que l'amour et la fidélité existent. Je ne veux pas être celle qui va encore t’abandonner.’ C'est la promesse que je me suis faite intérieurement. 

" Sa vie ne tient à pas grand-chose "

Au départ, je ne pensais pas être à ce point un pilier. C’est difficile à deviner, surtout quand on ne connaît pas ce monde. Je suis tombée des nues quand j'ai rencontré Antoine. C'était le type d'histoires et de personnages que je n'imaginais pas. J'ai vécu dans du coton jusqu'à 25 ans. J'ai rencontré la vie en rencontrant Antoine. Je l’ai découverte d’une manière forte, voire violente. On a vécu des choses terribles dès le début. C’est l’image d'un homme écorché vif. C'est l'expression d'une blessure immense par rapport à tous les abandons qu'il a vécus. Il n'y a pas de fil conducteur dans sa vie. 

Je pense qu'il reste très fragile. Si jamais il devait m'arriver quelque chose, je ne donne pas cher de sa peau. Ça ne tient à rien, même s’il a une belle réussite professionnelle, notre couple va bien et on a un tissu social sympathique. Sa vie ne tient à pas grand-chose. Ne pas avoir d’enfant, c'est un choix qui s'est imposé à nous. Lui a exprimé le désir d'avoir des enfants. Mon modèle idéal de famille, c'était un couple et trois enfants, mais j'ai assez vite compris que je n'arriverais pas tout gérer."

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Antoine livre les séquelles qu’il garde de son enfance : "On est dans une forêt après la tempête. On a élagué les gros troncs, mais il y a encore des branches en travers du chemin. Je pense mieux gérer mon émotivité et mon hypersensibilité aujourd'hui. Il y a quatre ou cinq ans, ça se traduisait encore par des tentatives de suicide. J’ai été diagnostiqué bipolaire il y a cinq ans. D'après les psys, ça a un rapport avec les chocs que j'ai vécus au niveau émotionnel et parce qu'il semblerait que ma mère l’est aussi. Ce n’est pas grave. Beaucoup de gens sont bipolaires."

Selon Antoine, ses traumatismes ont aussi un impact sur son couple : "J'aime mal Isabelle, mais je le sais. Ce qui compte, c'est de le savoir. Il faut vivre avec. Je dois faire attention. Mon maintien en vie a un prix et malheureusement, c'est ma femme qui le paye. Pour que je reste, je dois continuer à alimenter ma boulimie de travail. Quand je rentre le soir, à une heure ou deux heures du matin, elle m'attend. C'est la plus belle preuve d'amour pour moi, parce que je n'arrive pas à rentrer à la maison sans que personne ne m'attende. Je rentre dans une crise d'angoisse et je ne dors pas de la nuit."

" Je n’attends rien d’eux, pas même des excuses "

La mère et le frère d’Antoine ont tenté de reprendre contact avec lui, mais ce dernier refuse de les revoir : "Je ne souhaite pas voir ma mère et mon frère. Qu’allons-nous avoir à nous dire ? Ça fait plus de vingt ans qu'on ne s'est pas vus, presque trente ans avec mon frère. Qu'est-ce qu'un enfant devenu grand peut attendre de sa mère et de son frère aîné qui l'ont battu et l’ont agressé au plus profond des tripes ? Il y a des parties de mon corps qui portent encore les traces de leur violence. 

Je n’attends rien d’eux, pas même des excuses. Il n’y a pas très longtemps, ma mère a essayé d’entrer en contact avec moi par l'intermédiaire de la brigade de recherche des grandes personnes disparues. Un commandant de gendarmerie m'a appelé. Il y a peu, mon frère m’a contacté par mail et par téléphone. Je ne donne pas suite. Il va falloir qu'ils comprennent que ma vie n'est pas avec eux. Ma vie est avec Isabelle et c’est exclusif."