Qu’est-ce qui bloque avec la réforme de l’accès à l’université ?

À Marseille, des étudiants montaient une barricade jeudi. © BORIS HORVAT / AFP
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Mathilde Belin, avec AFP

Alors que les blocages se poursuivent sur une dizaine de sites, les présidents d’université appellent l’exécutif à mettre plus de moyens dans la loi ORE.

La réforme d’accès à l’université continue de déchaîner les passions. Alors que le mouvement de blocage de certaines facultés s’enracine, la quasi-totalité des présidents d’université ont appelé jeudi le gouvernement à engager plus de moyens pour que cette réforme réussisse. Si pour les étudiants, la loi "Orientation et réussite des étudiants" (ORE) est synonyme de sélection, elle est pour les présidences d’université nécessaire mais encore insuffisante… Europe1.fr revient en trois questions sur une réforme explosive.

Que prévoit la loi ?

Des "attendus". La loi ORE, promulguée le 9 mars, réforme profondément les modalités d’accès à l’université. Les lycéens de Terminale et les étudiants en réorientation doivent ainsi, depuis cette année, formuler leurs vœux de filières via la plateforme d’admission post-bac Parcoursup, qui remplace le système ABP. Une commission d’examen des vœux dans chaque université est chargée d’étudier les dossiers de candidatures en fonction des "attendus", c’est-à-dire des compétences ou des connaissances requises, précédemment définies via Parcoursup, pour être accepté dans la filière.

"Oui", "oui si", "en attente". Si les formations sélectives, types prépa, BTS ou DUT, gardent la possibilité de refuser un candidat, les formations non sélectives ne peuvent en principe pas en refuser s’il reste des places vacantes. Mais si l’université estime que le candidat n’a pas les "attendus" requis, elle pourra conditionner son inscription à l’acceptation d’un parcours d’accompagnement (remise à niveau, modules…). Ainsi, le néo-bachelier peut se voir répondre "oui", "oui si" ou "en attente" (que des places se libèrent) à sa candidature. Mais en cas de manque de places ou de refus du parcours d’accompagnement, le recteur d’académie devra proposer à l’issue de la procédure une offre de formation proche des vœux du candidat dans la région.

Réduire le taux d'échec. Selon le gouvernement, ce nouveau système permettra de réduire le taux d’échec en première année de licence dans les universités - de 60% en moyenne aujourd’hui - via ce système inédit de classement des dossiers, et par la même occasion de mettre fin au tirage au sort qui prévalait encore dans les filières dites en tension.

Que reprochent les bloqueurs ?

Une "sélection" déguisée. Pour les étudiants et lycéens opposés à la loi ORE, ce nouveau système instaure une "sélection" déguisée à l’entrée de l’université. "Par cette promulgation, le gouvernement ne fait qu’entériner la mise en place de la sélection à l’entrée de l’université", a dénoncé l’Unef dans un communiqué, pointant du doigt le "renforcement d’un tri social et discriminant à l’entrée de l’enseignement supérieur". "Avec la mise en place de la loi ORE, seules 5% des filières universitaires seront en capacité d’accueillir l’ensemble des bacheliers et des étudiants en réorientation sans avoir besoin de sélectionner", affirme le 2e syndicat étudiant. Tolbiac à Paris, Paul-Valéry à Montpellier, Jean-Jaurès à Toulouse… Depuis la promulgation de la loi, plusieurs universités sont bloquées par des étudiants opposés à la réforme. À ce jour, quatre universités sur 70 sont bloquées et une dizaine de sites sur 400 sont perturbés, remettant en cause par endroits la bonne tenue des examens.

 

Vers une "convergence des luttes". Si les bloqueurs demandent le retrait de la loi ORE, la contestation s’est aujourd’hui élargie à d’autres mouvements, alors que le climat social est des plus tendus avec la grève des cheminots ou encore l’évacuation de la Zad à Notre-Dame-des-Landes. À la faculté parisienne de Tolbiac, les occupants parlent justement d’une "convergence des luttes". À Sciences Po Paris, les slogans visent directement Emmanuel Macron : "Les étudiants de Sciences Po contre la machine macronienne" ; quand d’autres affichent leur solidarité avec la cause des migrants. La Coordination nationale étudiante, qui décide des poursuites des grèves et blocages au sein des universités, avait justement appelé les étudiants à se joindre à la journée d’action nationale du 19 avril. Selon l’exécutif, ces blocages sont avant tout le fait d’une "infime minorité", voire d’"extrêmes qui cherchent à en découdre". Emmanuel Macron avait lui-même parlé de "professionnels du désordre".

Comment se situent les professeurs ?

Le boycott des professeurs. Dans le camp enseignant aussi, des voix s’élèvent contre la loi ORE. 425 professeurs de facultés ont dénoncé, via une tribune publiée le 10 avril sur franceinfo, une "sélection hypocrite", joignant ainsi leurs voix à celles des étudiants opposés. "D'un côté, les responsables gouvernementaux refusent catégoriquement d'utiliser ce mot. Mais, de l'autre, on nous demande de classer les candidatures de sorte qu'un couperet tombera une fois les capacités d'accueil des filières saturées", écrivent-ils. Dans plusieurs facultés de l’Hexagone, des enseignants-chercheurs chargés de classer les dossiers de candidature des néo-bacheliers s’y sont opposés, soit par refus de la sélection, soit parce qu'ils contestent la mise en place de ce tri créé par la loi. À l’Université de Lille, où un collectif d’enseignants avait appelé à la grève et au boycott des examens, plusieurs départements ont même voté contre la création de la commission d’examen des vœux. Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a enjoint ces enseignants à "respecter la loi".

Les présidents appellent à des négociations. Du côté des présidents d'université, l’heure est au dialogue. Si une partie d’entre eux a longtemps hésité à recourir à la force publique pour mettre fin aux blocages dans leur établissement, les présidents de faculté, plutôt favorables à la loi ORE, appellent aujourd’hui à des négociations. Jeudi, 63 présidents d’université – sur un total de 73 – ont pris la défense de la loi mais ont réclamé plus de moyens pour ne pas la "condamner à l’échec", dans une tribune publiée sur le site du Monde.

S’ils réfutent toute "sélection" induite dans la réforme, ils estiment que la réforme "impose de déployer des moyens humains et financiers", notamment pour organiser les modules de remise à niveau. Déjà mercredi, six présidents d’université ont demandé au gouvernement des négociations avec toutes les parties prenantes du conflit, personnels et étudiants, fustigeant un manque de moyens "qui ne permet pas l’accueil et la réussite des étudiants". Étudiants, professeurs et présidents d’université, qu’ils soient opposés ou non à la loi ORE, s’entendent au moins sur un point : l’université française reste largement sous-financée.  

 

Des universités lâchent du lest. Le président de Nanterre a proposé mercredi d’organiser sur son campus des "états généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur" pour son université, actuellement bloquée, afin de débattre de la réforme avec les étudiants. Allant encore plus loin, la direction de Rennes 2 a annoncé jeudi sa décision d'accepter toutes les candidatures déposées dans Parcoursup pour les filières qui ne sont pas en tension, soit "environ 70% des formations".