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Delphine Schiltz , modifié à
Un teint lisse, un sourire à la blancheur exceptionnelle, des lèvres parfaites... La multiplication des filtres sur les réseaux sociaux peut perturber durablement la perception de certains adolescents à leur image. Si certains jeunes prennent du recul par rapport aux filtres, d'autres ont du mal à s'assumer au naturel. Ces machines à retouche peuvent engendrer un vrai mal-être. 

Elles font de belles pommettes, affinent le visage et la taille, blanchissent les dents. Les applications de retouche sont nombreuses sur les réseaux sociaux. Lina*, 15 ans, les utilise peu. Elle joue parfois avec des filtres de luminosité pour avoir un meilleur teint et se sert d’un stylo correcteur pour supprimer ses boutons. "Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes se modifient autant. Retoucher un peu, oui, mais pas entièrement", assure-t-elle. Mais bien qu’elle ait du recul, le filtre peut faire des dégâts. On appelle ça la dysmorphobie, l’obsession d’un défaut physique léger voire inexistant, qu’on perçoit de manière démesurée.

"Si on me demandait d’arrêter, je ne publierais plus aucune photo"

"Quand je me regarde à travers un filtre, je me dis que je suis super belle. Quand on revient à la réalité, je dirais qu’on est déçu de soi-même. Mes sourcils ne sont pas parfaits, mes lèvres ont un problème. J’ai un bouton là, mon teint de peau est moins beau que ce que je pensais… On se voit et on se dit : mais pourquoi est-ce que je n’ai pas un filtre tout le temps sur moi ?", raconte l’adolescente. 

Pour elle, pas question de publier des selfies sans retouches : "si on me demandait d’arrêter du jour au lendemain, je ne publierais plus aucune photo", reconnaît-elle. "Par peur du jugement des autres et de la méchanceté dans les commentaires… On ne sait jamais."

Une dysmorphophobie banale à l’adolescence…

Déprécier ou rejeter certaines parties de son corps, c’est normal, estime le Docteur Dominique-Adèle Cassuto. "Les adolescents sont en pleine construction et ils sont dans une période de dysmorphophobie banale et transitoire", explique-t-elle. "C'est naturel de ne pas comprendre, de ne pas aimer certaines parties de son corps parce que ça se modifie très vite et qu’on a envie de ressembler un peu à tout le monde. On quitte son corps d'enfant pour aller dans un corps qu'on ne connaît pas. C'est un peu l'inconnu".

Pour autant, la nutritionniste, aussi auteure d’un livre à destination des adolescents, ne souhaite pas diaboliser TikTok, Instagram et Cie. "Je trouve que les réseaux sociaux font faire aux adolescents plein de choses extraordinaires. C'est une ouverture d'esprit. Grâce à eux, ils apprennent à cuisiner, à jardiner, à voyager, …".

… qu’il faut tout de même surveiller et accompagner

Mais, il faut quand même surveiller cette fabrique des complexes, estime le Docteur Cassuto qui a fait entrer les réseaux sociaux dans ses consultations, "parce que je me rendais compte que je passais à côté d’une grande partie de la vie de mes patientes, si je ne m’y intéressais pas", raconte-t-elle. Cette dysmorphophobie selon elle "peut durer quelques heures, quelques jours… Et puis, ça peut durer plus longtemps. Ce qui est ennuyeux, c’est quand elle continue à l’âge adulte et qu’elle provoque des troubles du comportement alimentaire", explique la spécialiste.

Pour s’en prémunir, la médecin recommande d’arrêter les notifications, d’expliquer l'effet bulle des réseaux sociaux. Mais aussi, "d'aller voir des comptes parodiques qui montrent l’envers des filtres", conseille le Docteur Cassuto. La dysmorphobie toucherait près de 2% de la population mondiale.

*Le prénom a été anonymisé.