Profs : leurs premières minutes devant une nouvelle classe

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A la veille de la rentrée scolaire, trois enseignants nous racontent comment ils abordent leurs rencontres avec de nouveaux élèves.

"Les premières minutes devant de nouveaux élèves, il y a une sorte de temps flou. Le prof et les élèves se jaugent". Comme la plupart des enseignants du secondaire, Julie, professeure de français dans un collège de Picardie, a effectué sa pré-rentrée mercredi. Une journée préparatoire entre équipes pédagogiques, avant de découvrir les nouvelles classes à partir de jeudi.

Julie a 24 ans et ce sera sa deuxième rentrée en tant qu'enseignante. Elle se souvient parfaitement de celle de l'an dernier, sa toute première, donc. "Je ressentais beaucoup d'excitation, j'avais envie de connaître les élèves, de les découvrir. Mais aussi beaucoup d'angoisse ! Nous sommes peu formés. Avant ma première rentrée, je n'avais eu qu'une demi-journée de formation en classe. Mais je vivais ça avant tout comme une découverte. Et j'ai été accompagnée par des collègues très bienveillants !", raconte-t-elle. Aujourd'hui, l'angoisse semble s'être atténuée. "Je ne ressens pas de stress, plutôt de l'excitation. J'ai envie de tester des nouvelles méthodes, de faire des expériences".

" Je fais un sondage auprès des équipes pédagogiques "

Pour les professeurs un peu plus expérimentés, c'est un autre mot "qu'excitation" qui revient en boucle : "routine". "On se dit, c'est reparti pour une année. Il y a une forme de routine", concède ainsi Jean-François, professeur de mathématiques depuis 33 ans dans un collège parisien. "Il n'y a plus de pincement au cœur. Les deux premières rentrées était peut-être un peu particulières mais après, la routine s'installe vite. Si je change d'établissement, ce serait différent. Mais aujourd'hui je fais partie des meubles !", renchérit Benoît, professeur d’histoire-géographie dans un collège de la Courneuve, en Seine-Saint-Denis, depuis 15 ans.

Pas de pincement au cœur pour les plus anciens, donc. Pourtant, chaque année, c'est la surprise, la découverte de nouveaux noms, que les enseignants devront côtoyer pendant un an. "Chaque année, avant d'entrer dans la salle, je me demande quel sera le profil de la classe. Avec l'expérience, on peut dresser un tableau des possibilités : il y a des classes 'gentilles' qui travaillent bien, des 'gentilles' qui ont des difficultés ou ne travaillent pas beaucoup, d'autres avec des antinomies au sein des élèves, ou des classes avec deux, trois gugus qui se font remarquer etc.", explique Jean-François, du haut de ses 33 ans de carrière. "Le premier réflexe que j'ai, c'est de regarder la liste des noms, histoire de voir si j'en connais certains, si c'est un redoublant, la sœur ou le frère d'un ancien élève. Généralement, cela évoque des souvenirs sympathiques. Ensuite, je fais un sondage auprès des équipes pédagogiques, de mes collègues, pour me faire une idée des élèves, de leurs éventuelles difficultés", poursuit Benoit, méthodique.

Pour établir le premier contact avec la classe, chacun à ses techniques. Julie, pour sa deuxième rentrée, parle déjà même de "rituels", qui la rassurent, et lui permettent de quadriller le début de la journée. "Après l'entrée en classe, je laisse les élèves un peu debout. Puis dès que je les sens attentifs, je leur demande de s'asseoir. 'Bonjour', 'asseyez-vous',  'mettez les carnets sur le coin de la table'… J'ai quelques phrases que je dis à chaque nouvelle classe. Et lorsque je vais les chercher dans la cours, je leur dis tout le temps : 'allez-y, je vous regarde', parce que ce sont eux qui doivent partir avant moi !", détaille la jeune professeure de français.

" Je les mets très vite au travail. Ça les déroute un peu "

Chacun le reconnaît : le premier contact est important. "Au moment de l'appel, j'essaie de ne pas trop écorcher les noms. S'il y en a un que je reconnais je lui dis 'oh, toi, tu as bien grandi'. Ou 'tiens, j'ai eu ton frère en classe'. Il faut établir un premier contact agréable tout en conservant une attitude de prof, leur montrer qu'ils ne peuvent pas tout se permettre", prévient Jean-François.

Présentation de soi, des élèves, vérification des emplois du temps, explication du programme, conseils pour les devoirs à la maison… Chaque professeur orchestre ensuite cette première rencontre suivant un ordre plus ou moins similaire. "L'idée est qu'ils sachent où ils vont mettre les pieds. Cela permet aussi de les rassurer, surtout pour les 6e", glisse Jean-François, l'ancien. C'est la gestion du temps qui diffère selon les enseignants : les uns prendront plus de temps pour se présenter, pour expliquer le programme, répondre aux questions des élèves. Les autres se mettront vite dans le bain.

"Personnellement, je les mets très vite au travail. Ça les déroute un peu mais je pars du principe que l'on aura assez de temps pour faire connaissance dans l'année. C'est un signal fort, cela leur fait comprendre qu'ils ne sont pas là pour faire du tourisme, que l'on a beaucoup de choses à partager", explique ainsi Benoit, le professeur d'histoire-géo. "S'il me reste du temps, je les mets au travail. Selon la motivation de la classe, ça peut être une démonstration ou un simple calcul. L'idée est de leur dire que l'heure de se remettre au travail est arrivée, avec un petit exercice de mise en jambe", justifie Jean-François.

" Il y a des trucs pour repérer les rigolos "

Ce qui diffère également dans la conduite de cette première journée, c'est la faculté à repérer les différents profils qui composent la classe. Et là, l'expérience fait souvent la différence. "C'est difficile d'appréhender ses élèves la première journée, en un coup d'œil, surtout pour une jeune prof. Je n'arrive pas à voir, dès les premières minutes, lequel sera un élève difficile, lequel sera bon élève. Et puis je n'aime pas trop partir avec des a priori. En cours d'année, il peut y avoir de vrais retournements. Je mets environ un semestre a vraiment appréhender les élèves", témoigne Julie.

Pour Jean-François et Benoit, au contraire, "il y a des trucs symptomatiques pour repérer ceux qui vont jouer les rigolos". "Généralement, ceux qui se mettent au dernier rang en sont. Du coup, comme il n'y a jamais de place prise au premier rang, je les taquine, je dis à ceux qui sont assis au fond de venir !", raille le professeur d'histoire-géo.

"Il y a celui qui n'enlève pas sa casquette au moment de rentrer en classe, celui qui continue de discuter alors que j'ai demandé le silence, celui qui a oublié son stylo…", énumère encore son confrère de mathématiques. Et après 33 ans passés à côtoyer ce genre de "gugus", pour reprendre ses termes, Jean-François est rodé. "La réponse à apporter varie selon les niveaux de classe. Un élève de 3e qui se montre un peu trop familier, on va le rappeler sèchement à l'ordre. Il est censé connaître les règles. À un 6e, on va expliquer gentiment que ça ne se passe pas comme ça au collège".

Dès le premier jour, le professeur de mathématiques n'hésite d'ailleurs pas à dégainer sa meilleure arme : l'ironie. "Cela ne doit pas être blessant, cela doit être à la portée des élèves", détaille l'enseignant. "Mais je trouve que cela remet les élèves à leur place. Celui qui a essayé de s'extraire des autres en jouant le trublion, cela le remet dans un groupe. Ça montre d'emblée que le professeur ne se laisse pas marcher sur les pieds, et en même temps qu'il est capable de faire rire", poursuit-il. Et de conclure : "Cela permet de voir aussi la capacité à l'humour de la classe. Si elle n'en a pas, on sait qu'il va falloir prendre plus de temps tout au long de l'année pour expliquer les choses…".