Pourquoi les cabines de bronzage sont-elles toujours autorisées malgré les risques ?

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En dépit des alertes formulées depuis plusieurs années, les gouvernements successifs se sont pour l'instant contentés de durcir la réglementation qui entoure le recours aux UV artificiels, sans les interdire.

 

L'appel est solennel : dans un avis rendu mercredi, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) demande aux pouvoirs publics de "prendre toute mesure de nature à faire cesser l'exposition de la population aux UV artificiels", via les cabines de bronzage. En cause : un risque de cancer "avéré"...mais pas nouveau. Dès 2014, l'organisation recommandait "la cessation à terme de tout usage commercial" du bronzage artificiel. Cinq ans plus tôt, le Centre international de recherche sur le cancer déclarait ces rayons "cancérogènes certains". Des mises en garde qui ont poussé les pouvoirs publics à un encadrement de plus en plus strict de la pratique, sans jamais provoquer son interdiction.

Une nocivité "avérée" et reconnue par les gouvernements. "Bon an, mal an, on a mis en place des restrictions et des contrôles", retrace Claudine Blanchet-Bardon, vice-présidente du syndicat des dermatologues-vénérologues, interrogée par Europe 1. La réglementation s'est notamment renforcée en 2013, imposant une meilleure traçabilité des appareils, des avertissements sanitaires à proximité des cabines et l'interdiction d'offres tarifaires préférentielles ou promotionnelles pour des séances d'UV. "La pratique du bronzage en cabine reste autorisée", indique le site de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dépendant du ministère de l'Économie, qui souligne que les pouvoirs publics entendent "limiter les risques pour la santé des consommateurs qui y ont recours".

Lesdits risques - les personnes ayant eu recours au moins une fois aux cabines de bronzage avant l'âge de 35 ans augmentent de 59% le risque de développer un mélanome cutané - sont donc reconnus au plus haut niveau de l'État depuis plusieurs années. "La nocivité de l'exposition aux rayons UV est avérée et l'augmentation des mélanomes doit nous conduire à agir. Mais faut-il interdire ?", se demandait en 2015 Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, devant le Sénat. Indiquant attendre les conclusions d'un groupe de travail mis en place par la commission européenne, la ministre avait à l'époque rappelé le cadre légal encadrant la pratique, s'opposant à une interdiction "complète" des cabines de bronzage.

"À chaque fois, l'argument économique a pesé". "Il y avait plusieurs ministères dans la boucle, dont la Santé, mais aussi l'Économie", estime Claudine Blanchet-Bardon. "À chaque fois, l'argument économique a pesé." Que représente le secteur des UV artificiels ? 4.500 établissements en France, dont 300 centres de bronzage spécialisés, les autres le proposant en activité secondaire, selon le Syndicat national des professionnels du bronzage en cabine. La même source estime que le marché alimente 11.000 emplois, directs et indirects, un nombre en forte baisse ces dernières années.

"On appuie sur la tête des gens qui n'en ont déjà plus", a martelé mercredi Régine Ferrère, présidente de la Confédération nationale de  l'esthétique et de la parfumerie (CNEP), interrogée par Franceinfo après la publication de l'avis de l'Anses. Agitant la menace de "conséquences économiques terribles", la responsable appelle à "arrêter de taper sur le bronzage en cabine" et pointe son effet "positif", dans le cadre prévu par la loi. "C'est faux : l'explication est purement économique", balaye Claudine Blanchet-Bardon. "Sur le plan scientifique, leurs arguments sont mensongers et très faciles à récuser : toutes les études prouvent que non, les UV artificiels ne préparent pas la peau au soleil et non, ils ne font pas non plus produire davantage de vitamine D."

Un marché parallèle disponible en ligne. Dans ce contexte, que change l'avis de l'Anses ? "Il est très important", selon la vice-présidente du syndicat des dermatologues-vénérologues. "C'est la première fois qu'un rapport officiel d'un organisme d'État demande une telle interdiction." Contacté par l'AFP, le ministère de la Santé n'a pas encore défini sa décision sur le sujet. "De toute façon, ça va encore prendre du temps", prédit Claudine Blanchet-Bardon. "Mais on avance, et cela va renforcer la ministre sur le plan européen."

Car selon la spécialiste, une interdiction complète passerait par une réglementation au-delà des frontières françaises : interdite aux particuliers en grande surface, la vente de solariums et cabines UV est aujourd'hui toujours possible sur internet. "Les gens commandent, ça arrive à la maison et personne ne contrôle la manière dont on les utilise", déplore-t-elle. "Le débat va au-delà de la fermeture des officines."