Pourquoi le fentanyl, 40 fois plus puissante que l'héroïne, inquiète les autorités françaises

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Les morts liées au fentanyl sont un véritable fléau aux États-Unis, où le nombre d'overdoses explose. © Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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Salomé Legrand et Xavier Yvon, édité par Thibaud Le Meneec
Après avoir ravagé les États-Unis, le fentanyl, opiacé extrêmement puissant, menace l'Europe. En France, une importante saisie a été réalisée fin novembre.
ON DÉCRYPTE

C'est une drogue bien plus puissante que l'héroïne, arrivée en France en 2018, qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts en Amérique du Nord. Potentiellement dévastateur en matière de santé publique, le fentanyl a mis les autorités sanitaires et policières françaises en alerte. Europe 1 vous explique pourquoi cette drogue sera l’un des points d’inquiétude soulevé dans le bilan annuel de la brigade des stupéfiants, selon nos informations. 

Parce que c'est une drogue ultra-puissante

Le fentanyl est un opiacé de synthèse qui se sniffe ou se prend en comprimés. Il est au moins quarante fois plus puissant que l’héroïne, ultra-addictif et d’autant plus dangereux. La consommation de cette drogue est extrêmement risquée : la moindre erreur de dosage peut s'avérer mortelle. Un millième de gramme, une dose infinitésimale, suffit pour ressentir les effets, et pour basculer dans l’overdose.

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Parce qu'il a déjà ravagé les États-Unis

Relativement méconnu en France, le fentanyl est un fléau en Amérique du Nord, et plus particulièrement aux États-Unis. C'est la drogue qui tue le plus d'Américains, devant l'héroïne. Il a d'ailleurs fait une victime célèbre : Prince, qui a succombé à une overdose en avril 2016. Le chanteur est très loin d'être le seul décès lié à cet opiacé : 76 personnes sont mortes par jour, en moyenne, en 2017.

" Notre fils s'est fait un dernier shoot et il y avait du fentanyl dedans, ça l'a tué presque instantanément "

C'est aussi ce qui a tué Adam Cooley, jeune homme originaire du Kentucky et mort à 27 ans, en mars 2017. Ses parents Carl et Brenda l'avaient convaincu de se faire soigner et devaient même le conduire le matin de son overdose au centre de désintoxication. Ils l'ont retrouvé inanimé dans sa chambre d'enfance. "Nous sommes entrés pour le réveiller, mais il ne respirait plus", raconte Brenda près de deux ans plus tard. "Ses yeux étaient à moitié ouverts, il avait de la bave qui sortait de sa bouche, ses oreilles saignaient." "Il s'est fait un dernier shoot et il y avait du fentanyl dedans, ça l'a tué presque instantanément", dit Carl. "Le médecin légiste nous a dit qu'il avait eu vingt fois la dose qui suffit à vous tuer", conclut son épouse.

"Il n'y a jamais eu autant d'enfants placés en famille d'accueil car les parents sont morts ou trop drogués, la criminalité augmente et les entreprises manquent de salariés", explique Andy Beshear, procureur général du Kentucky. La donne est la même dans tout le pays. Régulièrement, on voit circuler des images de personnes évanouies sur le trottoir, au volant, dans les fast-food ou dans les églises. Depuis trois ans, l'espérance de vie recule aux États-Unis à cause de ces overdoses, et en particulier celles au fentanyl. C'est parti des médicaments anti-douleurs bourrés d'opiacés, trop prescrits par les médecins. Une population dépendante s'est formée et s'est ensuite tournée vers l'héroïne avant de basculer dans la consommation de fentanyl.

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Parce qu'une importante saisie a été réalisée en France en novembre

"On a une vraie angoisse que le fentanyl arrive en France", estime Christophe Descoms. Est-il déjà consommé dans le pays ? Pas moins de 600 grammes ont été retrouvés fin novembre dans le 19ème arrondissement de Paris, où 25 overdoses sont recensées par an, tous produits confondus. L’été dernier, les policiers ont eu un tuyau selon lequel certains consommaient du fentanyl à Paris. Un homme a même été hospitalisé pour une overdose.

La brigade des stupéfiants est remontée jusqu'au fournisseur, un jeune homme de 34 ans, titulaire d’un master de chimie qui avait monté un petit laboratoire chez lui. "On a pris des précautions avec la présence du laboratoire et la présence d'un médecin", se rappelle Christophe Descoms, le patron de la brigade des stupéfiants.

" On avait un matériel de protection avec des gants et des masques pour éviter d'être contaminés par des particules qui voleraient dans l'air "

Les policiers sont intervenus en tenue NRBC (risque nucléaire radiologique bactériologique et chimique) : "On avait un matériel de protection avec des gants et des masques pour éviter d'être contaminés par des particules qui voleraient dans l'air au moment où on a fait les interpellations. Surtout, on a un antidote, un spray qui va permettre d'attendre l'arrivée du Samu et la prise en charge du policier par un hôpital."

Parce qu'elle est abordable et accessible

Le jeune homme de 34 ans avait déjà tenté de fabriquer du fentanyl en 2012, mais il n’avait pu en faire que 3 grammes. Sorti de prison, il s’est simplement fait livrer le produit tout prêt depuis la Chine via le darknet et n’avait plus qu’à le couper. C'est ce qui inquiète donc les autorités : à 1.100 euros le kilo à l’achat et 30 euros le gramme à la revente, les marges sont très confortables pour les trafiquants.

Deux types de publics sont particulièrement vulnérables, analyse Christophe Descoms : "Vous avez le consommateur qui a une addiction à la drogue et en particulier aux opiacés comme l'héroïne et qui, parce que ça coûte moins cher et que l'effet est beaucoup plus important, passe au fentanyl. La deuxième catégorie, ce sont des gens qui ont souffert de maladies provoquant des douleurs fortes, qui ont eu accès à de la morphine ou à des dérivés morphiniques et qui deviennent addicts à ce type de produits." La brigade des stupéfiants va donc suivre très attentivement les agissements de la communauté toxicomane, via les hospitalisations et les associations qui les accompagnent.

Parce que l'Europe est déjà préoccupée

Ailleurs, sur le continent, la vigilance est également de mise. L'observatoire européen de la drogue, basé à Lisbonne, s'est notamment emparé de ce sujet. Depuis 2018, il y a des actions ciblées sur le fentanyl (avec de la répression, de la prévention et l'analyse des données), notamment parce que la Suède, confrontée à une recrudescence de la consommation de cette drogue en raison de sa proximité avec la Russie, a poussé pour traiter ce problème avec davantage de moyens.