Lutte contre l’antisémitisme sur Internet : pourquoi la France s’inspire de l’Allemagne

En Allemagne, les réseaux sociaux sont forcés de modérer très rapidement les commentaires haineux.
En Allemagne, les réseaux sociaux sont forcés de modérer très rapidement les commentaires haineux. © NICOLAS ASFOURI, LIONEL BONAVENTURE / AFP
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avec François Geffrier
Emmanuel Macron a annoncé la création d’une loi pour renforcer la lutte contre les propos haineux sur Internet. Le texte devrait s’inspirer de ce qui se fait déjà en Allemagne, avec des résultats encourageants.
ON DÉCRYPTE

"Une résurgence de l'antisémitisme sans doute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale" : Emmanuel Macron n’a pas mâché ses mots mercredi soir, lors du dîner du Crif. Alors que le climat actuel est particulièrement délétère, le président de la République a présenté des mesures fortes pour lutter plus efficacement contre l’antisémitisme et le racisme en général. Le chef de l’État souhaite notamment mettre en place une loi contre la haine sur Internet. Sur ce point, la France puise son inspiration chez son voisin allemand, qui a déjà légiféré il y a deux ans, avec des premiers résultats plutôt positifs.

Des amendes incitatives. Suite à la multiplication des commentaires haineux sur Internet au plus fort de la vague migratoire en 2016, l’Allemagne a décidé d’encadrer plus strictement le comportement des internautes. Elle s’est donc dotée d’une loi qui contraint les plateformes (Facebook, Youtube, Twitter…) à agir rapidement pour assainir les contenus et les commentaires, sous peine de lourdes sanctions. En cas de signalement de propos injurieux ou contraires à la Constitution, les plateformes ont 24h pour les retirer ou une semaine s’ils sont jugés "litigieux".

En cas de non-respect de ces délais, elles peuvent écoper d’une amende allant jusqu’à 50 millions d’euros. Si elles refusent d’obtempérer, leurs dirigeants risquent également une sanction personnelle de cinq millions d’euros maximum. Par ailleurs, les plateformes sont également contraintes de fournir un rapport biannuel sur leur activité de modération des contenus haineux : nombre de signalements reçus, traitements réservés aux propos et aux internautes repérés, etc. Des obligations qui ont forcé, par exemple, Facebook a embauché plus de 1.000 personnes supplémentaires pour modérer les contenus en Allemagne.

Des résultats positifs mais aussi des critiques. Et la peur des sanctions semble avoir porté ses fruits immédiatement. Début 2018, le Congrès juif mondial avait scanné l’Internet mondial pour comparer sur un an l’évolution du nombre de messages antisémites. Parmi les dix pays analysés, l’Allemagne est le seul qui affiche une évolution positive (-16% de propos haineux). À l’inverse, les États-Unis (+34%) et, dans une moindre mesure, la France (+2%) peinent à contenir les messages insultants envers la communauté juive. "L’exemple allemand a très bien fonctionné : l'Allemagne, en concertation avec les plateformes, a voté une loi efficace qui fait qu'aujourd'hui le réseau y est plus assaini qu'en France. Ce n'est pas encore la panacée, mais en tout cas il y a eu une vraie avancée", estime Éric Morain, avocat spécialiste du cyberharcèlement, sur franceinfo.

La loi allemande n’échappe en effet pas à des critiques : outre-Rhin, plusieurs partis et associations s’inquiètent des effets collatéraux qu’implique la délégation à Facebook, Twitter et consort, des entreprises privées, de ce qui viole ou non la loi (le gouvernement allemand n’a pas de contrôle sur la modération). Des cas de tweets de députés et de médias satiriques supprimés par Twitter ont déclenché de vives polémiques, certains regrettant une menace pour la liberté d’opinion et la liberté de la presse.

Copié-collé du modèle allemand. La France va donc devoir trouver un fragile équilibre entre modération des contenus et respect de la liberté d’expression. La proposition de loi, portée par la députée LREM Laëtitia Avia et qui sera déposée "dès le mois de mai", "reprendra les propositions" faites dans un rapport remis en septembre au Premier ministre, a précisé mercredi Emmanuel Macron. Rédigé par le vice-président du Crif Gilles Taïeb, le rapport s’inspire du modèle allemand et préconise de renforcer la pression sur les plateformes numériques.

La future loi imposera donc aux plateformes de retirer les contenus appelant à la haine "dans les meilleurs délais", probablement 24h, et de "mettre en œuvre toutes les techniques permettant de repérer l'identité" de leurs auteurs et enfin responsabilisera ces plateformes sur le plan juridique. Il faudra aussi "nous donner les moyens aussi de pouvoir interdire la présence sur un réseau social de personnes coupables de propos racistes et antisémites comme on interdit hooligans dans les stades, ou à tout le moins, faire en sorte que les condamnations pour actes racistes et antisémites soient publiées", a ajouté Emmanuel Macron. En revanche, il a exclu l'interdiction générale de l'anonymat sur Internet, qui pourrait "aller vers le pire".

 

 

 

Les réseaux sociaux vantent leurs efforts

Contactées par Europe 1, les plateformes directement visées par Emmanuel Macron se défendent. Twitter assure que la modération est sa priorité numéro un. Google et Facebook rappellent tous deux avoir massivement augmenté leurs équipes de modération (respectivement 10.000 et 15.000 personnes au niveau mondial). Entre fin 2017 et fin 2018, Facebook a réussi à retirer deux fois plus de contenus haineux de ses pages, en portant ce chiffre à trois millions de textes ou d’images au total. Sur Youtube, de juillet à septembre 2018, huit millions de vidéos et 224 millions de commentaires ont été effacés dans le monde car ils ne respectaient pas les règles édictées par la plateforme.

Pour modérer les contenus, les géants du net s’appuient de plus en plus sur la détection automatique, permise par l’intelligence artificielle, qui apprend à reconnaître ce qui peut poser problème. Ainsi, sur Youtube, six vidéos litigieuses sur dix sont retirées avant-même d’avoir été vues par des internautes.