Leslie, 39 ans, harcelée par sa responsable : "J'ai compris pourquoi des gens se suicidaient sur leur lieu de travail"

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Romain David , modifié à
Leslie a quitté son travail après avoir passé dix ans sous l'emprise de sa supérieure hiérarchique. Elle raconte à Olivier Delacroix, sur Europe 1, son calvaire.

Leslie, âgée de 39 ans, a été harcelée pendant une dizaine d'année sur son lieu de travail par sa responsable. Cette dernière a commencé par lancer une série de rumeurs sur sa collaboratrice, qui s'est progressivement retrouvée isolée au sein de l'entreprise. Au micro d'Olivier Delacroix, sur Europe 1, Leslie revient sur l'emprise que sa supérieure exerçait sur elle. Elle évoque aussi les difficultés qu'elle a eues pour prendre conscience de la situation dans laquelle elle était enfermée.

"Les rumeurs se sont installées avec le harcèlement. […] C'était des rumeurs dans les deux sens : on peut dire des choses sur vous, et vous faire croire que les gens disent des choses sur vous. C'est une des armes de la personne qui va harceler. Les rumeurs isolent la personne. Pour moi, ça a débuté comme ça.

Ma responsable m'a fait croire que les gens disaient des choses horribles sur moi comme, par exemple, que j'étais une peau de vache, ou que je médisais sur eux.

[...]

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À chaque fois que je disais quelque chose, par exemple - si une collègue s'achète un pull que je ne trouve pas très joli -, 'je n'aime pas cette couleur', elle répétait à la collègue que j'avais dit que la couleur était très moche, que ça ne lui allait pas, que ça faisait vieille. En fait, elle amplifiait et déformait ce que je disais. Du coup, je devais me justifier [auprès des personnes concernées, ndlr]. Le problème c'est que cela me positionnait comme une petite-fille.

Elle a fait ça avec d'autres personnes qui sont parties en dépression. Moi, ça m'a complètement isolée. Au bout de dix ans, plus personne ne mangeait avec moi. Plus personne ne voulait me parler.

Les rumeurs colportées ont fini par avoir des conséquences directes sur le travail de Leslie et la manière dont elle était vue par sa hiérarchie.

Comme je n'avais pas de rapport avec mon directeur, et que tout passait par cette responsable, elle a fait croire au directeur un certain nombre de choses sur mon travail. En disant, par exemple, que je me permettais de donner des informations à la concurrence. C'est très grave, parce que ça attaque vraiment le travail de la personne. Un jour, j'ai été privée de réunion, le directeur ne voulait plus me parler. Il ne me parlait plus que par personnes interposées. Ça m'a isolé professionnellement.

Progressivement, le harcèlement moral a glissé vers une forme de harcèlement physique.

Elle a pris un jour du gros scotche, elle m'a attachée et ensuite elle a appelé tout le monde pour qu'on rigole parce que je n'arrivais pas à me détacher de ma chaise. C'est l'une des agressions physiques qui s'est produite. 

Elle prenait aussi des photos de moi régulièrement et en avait fait un dossier. Elle appelait les gens pour qu'ils viennent autour d'elle les regarder en disant : 'qu'est-ce que tu es laide, regarde cette photo, tu es encore plus moche que sur l'autre !' C'était des choses assez régulières.

Leslie a conscience d'avoir été d'une grande passivité vis-à-vis de sa responsable. Avec le recul, elle estime avoir été victime d'une "perverse narcissique".

Le harcèlement atteint tellement votre moral qu'au bout d'un moment, il a des conséquences sur votre vie personnelle. Elle a essayé de me pousser à divorcer en me disant que mon mari était quelqu'un de nul. Elle racontait aussi des choses sur lui.

C'est le principe du pervers narcissique, ça tiraille doucement mais surement. À un moment donné, elle a réussi à me faire déménager […].

J'ai fait beaucoup de choses. Bizarrement, vous ne vous en rendez pas compte. Vous êtes sous l'emprise du pervers narcissique, et plus ça va, plus l'emprise grandit et plus vous devenez une marionnette. Au bout d'un moment, je ne me reconnaissais plus.

[…]

J'ai eu un soutien. Une personne qui venait d'arriver, qui était complètement nouvelle dans l'équipe. […] Elle s'est rendu compte de ce qui se passait et m'a dit : 'il y a un truc qui cloche, c'est du harcèlement. Va-t'en, va-t'en rapidement !' J'ai mis du temps à m'en rendre compte, à verbaliser tout ça. […] Quand je suis partie, j'étais en miettes.

Face à un harcèlement aussi violent, à quelque chose qui vous rend complètement fou, j'ai compris, avant de partir, pourquoi des gens se suicidaient sur leur lieu de travail.

Bien que libérée du joug de sa responsable, Leslie doit encore entamer un long travail de reconstruction.

Ça fait un an que j'ai démissionné et, pour le moment, je crois que je ne suis plus capable d'être dans une entreprise. Je me suis mise à mon compte. Il faut que je résolve ce traumatisme. J'ai pris les choses en main depuis très peu de temps et je suis suivie par une psychologue spécialisée dans les traumatismes […]."

>> Retrouvez l'intégralité du témoignage de Leslie